Ce jour là, celui qui était au dessus de tout regardait le monde. Il observait les hommes, leurs activités, leurs vies. Sa voix rauque s’éleva alors :
– Faisons un test.
Théo jeta un œil à l’horloge suspendue dans un coin de sa chambre. 23H56. Après une soirée de travail intensif, il allait enfin pouvoir s’autoriser un peu de repos. Il abandonna la copie qu’il était en train de remplir, et s’allongea sur son lit.
Cela faisait presque deux ans qu’il traînait sur les bancs de la fac, à mener le même quotidien monotone fait de trajet en RER, de cours de psycho et de repas fades au resto U. La magie des premiers cours, de la liberté étudiante, semblait bien loin. Du haut de ses 20 ans il était entré dans l’âge adulte, confronté comme des millions de français au métro-boulot-dodo.
Il regarda le ciel par la fenêtre. Un ciel sombre que la lune brillante éclairait, masquée par des nuages gris. Comme ça devait être beau, là haut ! Il imaginait la vue splendide que devait offrir le panorama, se figurait déjà le sentiment de liberté que parcourir les immensités célestes devait procurer, de fendre l’air à sa guise, de se promener au dessus des nuages.
Sauf que lui, il était affalé sur son matelas, fatigué, ennuyé, stressé. Il ne supportait plus la routine. Demain, ça recommencerait. Après demain aussi. Et ce pendant des années. Jusqu’à la retraite. Et après, il serait vieux, malade, puis mort. Mais il valait mieux ne pas trop y penser. Priorité au dodo, le reste, il verrait demain. Lentement, les paupières de Théo se refermèrent. Tout devint noir. Il sombra.
« Tu as l’air bien triste… »
Une petite voix lui murmurait quelque chose au coin de l’oreille. Il était seul dans la pièce, pourtant. Sans doute était-il déjà en train de rêver. Il n’y avait rien autour de lui, tout était noir. Il avait le sentiment qu’il pouvait ouvrir les yeux et retrouver sa chambre à tout moment, mais inexplicablement il ne pouvait se résoudre à le faire.
« Ton quotidien semble être devenu invivable. »
Il entendait la voix distinctement maintenant. C’était une voix de petite fille, aigue, joyeuse.
– Qui est là ? Demanda t-il. Confus, il ne savait même plus s’il pensait ou parlait à haute voix.
« Et si je te donnais le pouvoir de changer les choses, rien qu’une journée ? »
Quoi ? Qu’avait-elle dit ? Mais quelle sorte de rêve était-il en train de vivre ?
– Le…pouvoir ? Répéta t-il désemparé.
« Ca te plairait ?»
– Changer…..les choses ?
Théo se surprit lui même à poser cette question. Il avait déjà vécu des rêves très vraisemblables, où il avait couru, s’était bagarré, et avait même piloté une voiture de sport, ce qu’il souhaitait depuis qu’il était gamin. Mais jamais quelque chose d’aussi réaliste. Il se savait dans son lit, les yeux fermés, et pourtant entendait distinctement la voix. A la fac, on lui avait un jour parlé des rêveurs lucides, ces gens conscients de rêver qui contrôlaient leur sommeil. Peut être en était-il tout simplement un ? Quoi qu’il en soit, la conversation ne faisait que se préciser.
« Oui, changer les choses. Tu pourrais, l’espace d’une journée, faire tout ce que tu veux. Aller où tu veux. Avoir un pouvoir qui égale celui de Dieu.»
– Un pouvoir…..égal à Dieu ?
« Oui.»
Mais qu’est ce qui lui arrivait ? On lui proposait maintenant de devenir Dieu ! Décidément, ce rêve était très prometteur.
– Je ne sais pas ce qu’il se passe ici….mais si c’était possible, bien sur que je dirais oui. Comment si j’allais refuser ça !
Cette fois, la voix avait pris un petit ton enjoué.
« Tu acceptes ? »
– J’accepte.
Elle ricana.
« Alors l’expérience va pouvoir commencer. Dors bien en attendant.»
Qu’est ce que cela signifiait ? Théo n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps. Une intense fatigue le gagna subitement, et le garçon sombra une seconde fois.
– Humm……
Théo ouvrit les yeux. Son réveil n’avait pas sonné. Etrange, on était mardi pourtant, la petite chanson qu’il s’était réglé pour 6H00 aurait du normalement résonner dans la pièce. Mais, et la pièce d’ailleurs ? En reprenant ses esprits, il se rendit compte que tout était blanc autour de lui. A droite, à gauche, devant. Son lit, sa chambre avaient disparu. Il était entouré de vide.
– Des nuages ?
Ils étaient à sa hauteur, telle une brume qui le recouvrait. Machinalement, il chercha à regarder ce qui se trouvait à ses pieds. A sa grande surprise, ce fut le vide également. Il flottait dans le vide. Il se tenait à la verticale au milieu des nuages, ses pieds ne touchaient rien d’autre que les nuages. Bien en dessous de ceux ci, un paysage se dessina. C’était la métropole parisienne, celle qu’il fréquentait tous les jours. Tout était si petit, on aurait dit une maquette. il reconnaissait les bâtiments, les monuments au loin, hauts de quelques centimètres seulement. Partout des petits points se déplaçaient de façon rectiligne le long des grands boulevards et des avenues. Des voitures, toujours plus nombreuses, vacant à leurs occupations. A combien de mètres flottait-il ?
Théo prit peur. Ses pieds s’alourdirent subitement, et tout son corps fut précipité vers l’avant. Une pression écrasante vint le recouvrir entièrement. Il commença alors à chuter. L’air fouetta son visage, balaya chacun de ses membres. Il prenait de la vitesse. Paniqué, l’étudient se mit à hurler. De seconde en seconde , les points se faisaient de plus en plus gros, les bâtiments de la capitale de plus en plus précis.
« Qu’attends tu pour t’envoler ? »
Encore cette voix qui résonnait dans sa tête. S’envoler ? Mais que racontait-elle ? Et comment était-il arrivé là ?
« Tu as le pouvoir de le faire maintenant. Alors vas y, envole toi ! »
Alors il était encore dans le rêve ? C’était la seule explication, comment aurait il pu se retrouver la haut, en plein milieu du ciel de Paris, autrement ? Et dans un rêve, on a effectivement le pouvoir de faire ce que l’on veut.
– M’envoler. Je veux m’envoler.
Presque instantanément, la descente s’arrêta. Son corps, fut propulsé non plus vers le bas, mais vers l’avant. Enfin, il se stabilisa. Théo ne tombait plus. Il se tenait debout dans les airs. Il se rappela alors du souhait qu’il avait formulé avant de s’endormir : il avait voulu fendre les cieux. Voilà pourquoi il s’était réveillé là : inconsciemment, ses pouvoirs avaient rendu possible son souhait.
– Alors c’était vrai…Je peux vraiment faire ce que je veux dans ce rêve….
Immobile, il regarda la ville depuis le ciel. Il n’était plus au niveau des nuages, mais suffisamment bas pour voir les passants pressés marcher d’un pas rapide vers leur lieu de travail. Lui qui était la haut, il se sentait si supérieur. Avec ce pouvoir, il était l’égal de Dieu. Et il allait pouvoir faire tout ce qui lui plaisait. Le temps d’un rêve, il n’y aurait plus d’obligations, plus de morne routine à laquelle se soumettre.
« Ca y est, tu prends conscience de ce que tu es capable de faire ? »
– Tout ce que je veux, n’est-ce pas ?
« Tout, en effet. il n’y a aucune limite à ce pouvoir. Fais cependant attention à le maîtriser. je serais là pour faire en sorte que tu ne te laisse pas submerger par tes capacités. »
– Tu n’es que le produit de mon imagination, rétorqua Théo à la voix féminine. Alors laisse moi, maintenant.
« Libre à toi de penser ce que tu veux….Mais la réalité risque de te rattraper… »
– On verra.
Théo descendit. Il avait assez vu le ciel. Lentement, il se laissa glisser vers une rue peu fréquentée de la capitale. Ses pieds foulèrent le sol pavé avec douceur. On aurait cru qu’il y avait un parachute dans son dos. Qu’allait-il faire maintenant ?
– J’ai toujours voulu avoir une voiture, fit Théo. Une belle Subaru bleue.
Quasiment instantanément, un véhicule apparut devant ses yeux. le modèle, la couleur, la présentation…tout était exactement comme il l’aurait voulu dans ses rêves les plus fous.
– Il faut que je l’essaie !
L’étudient fonça dans la voiture. Il était heureux comme un enfant devant un nouveau jouet. Les clefs étaient sur le contact. Il démarra, et accéléra vers les grands boulevards de la métropole. Un grand sentiment de liberté l’envahit alors. Il pouvait allait où il voulait, comme il le voulait ! Comme ce rêve était agréable ! Bercé par le grondement du moteur, il ne prêta pas attention au camion qui grognait derrière lui, ni aux taxis qui klaxonnaient juste à coté. Il roula ainsi pendant quelques kilomètres, savourant son désir qui s’accomplissait puis s’arrêta., lassé. Il descendit, regarda autour de lui. Personne ici non plus.
– Bien. Essayons autre chose.
Il avait faim. Mais aucun restaurant n’était présent aux alentours. Et de toute façon, il n’avait pas d’argent. Il claqua alors des doigts. En plein milieu de la route apparut une table et une chaise, avec sur celle ci un moule-frites comme il les appréciait. Un plat simple, mais qui lui rappelait tant de souvenirs. Il goûta : la saveur était exactement la même que quand il était petit, lorsque son grand-père l’emmenait à ce petit resto de la côte bretonne. Il dévora rapidement le contenu de l’assiette, trop content de retrouver des sensations disparues depuis longtemps. Il claqua de nouveaux des doigts. Plus de plats apparurent. Il dévora un à un les mets qui se présentaient devant lui. Les saveurs des aliments se déposaient harmonieusement sur ses papilles, tantôt sucrées, tantôt salées. Lorsqu’il fut repu, il se lava. Et maintenant, que pouvait-il accomplir d’autre ?
– Ce rêve est le plus beau que je n’ai jamais fait.
Un à un, il était prêt à satisfaire tous ces désirs. Il avait toujours voulu aller aux USA. New-York, Miami, Los Angeles….toutes ces grosses villes que l’on voyait partout à la télé et qui donnaient tellement envie. Tout était si immense là bas, les buildings, les voitures, les avenues….Il mourrait d’envie d’y aller.
Le moment était venu de réaliser ce souhait. Il claqua une nouvelle fois des doigts. L’instant d’après, le décor avait changé. Il n’était plus au milieu de la ruelle, mais au sommet d’un imposant édifice de centaines de mètres de hauteur. A sa droite flottait la célèbre bannière étoilée. Devant, une jungle de bêton, constituée d’un nombre infini de gratte-ciel s’étendait à l’horizon. Au milieu, un carré de verdure rompait avec les constructions humaines. Au loin on trouvait la mer, et une petite île sur laquelle se dressait une statue verte bien familière. New-York. Il y était.
Il était au sommet, sur les plus hauts buildings, et pouvait voir toute l’île. Il contemplait la terre depuis le ciel, voyait ce que les autres ne voyaient pas. Les artères de la ville, les beaux quartiers, les ghettos, les secrets de Manhattan. De toit en toit, il explora la ville une demi-journée durant, jusqu’à se lasser quelque peu.
– Bon, je reviendrai plus tard fit il, tout excité par ce qui l’attendait ailleurs.
Il claqua de nouveau les doigts et se retrouva à San Francisco. Le même spectacle se présenta devant ses yeux. La ville, les gens, les monuments. Il essaya alors les autres villes, Las Vegas, Los Angeles, Washington. Partout, il pouvait contempler cette scène, jouir de sa supériorité sans limite. Il observait ces gens soumis à leurs obligations. Le temps, la distance, n’étaient plus des obstacles pour lui. Pendant la journée entière, il se déplaça véritablement partout sur Terre.
« Alors, tu t’amuses bien ? »
La voix. Elle n’était pas intervenue depuis son repas à Paris, dans la matinée. De retour dans la capitale, Théo contemplait le coucher de soleil depuis le toit d’un édifice haussmannien. Il devait être 18h.
– Oui. J’ai pu réaliser tous mes souhaits. Ou presque.
C’était vrai. La Subaru, le repas, les USA, le monde. La liberté, le temps, les sensations. Il avait tout pour être heureux.
« Presque ? »
– Il y a une chose que j’hésite à faire.
Le garçon regardait l’agitation dans la rue au dessus de laquelle il se trouvait. C’était la sortie de la fac, les étudiants se dispersaient pour rentrer chez eux. Théo chercha dans la masse un visage particulier. Ou pouvait-elle bien être ?
« Une fille ? »
– Ouais….
Enfin, il la trouva. Il aurait reconnu son visage entre mille. Pressée, elle rangeait ses affaires dans son sac, à la recherche du prochain métro. Mathilde. Elle n’était pas spécialement populaire parmi les étudiants, ni particulièrement belle. Mais ses longs cheveux châtains et bouclés, ses traits fins ainsi que ses yeux pétillants la distinguait des autres filles pour Théo. C’était la fille qu’il aimait, du plus profond de de son être.
– Je la connais depuis le lycée, expliqua le garçon qui la regardait marcher. Elle a toujours été gentille, à l’écoute, merveilleuse avec tout le monde. Je donnerai n’importe quoi pour qu’elle face attention à moi, qu’elle me regarde.
« Tu sais que c’est possible », fit la voix.
Il réfléchissait, doutait. Fallait-il le faire, ou non ?
« Dépêche toi de te décider, mon vieux. Tu vas la perdre… »
Mathilde s’engouffrait en effet dans une station de métro. Théo se décida. Il avait le pouvoir de changer les choses, maintenant. C’est vrai, il ne l’avait jamais passé de temps avec elle jusqu’à présent. Mais il était temps de donner un petit coup de pouce au destin.
– Mathilde !
La jeune fille se retourna. Il avait couru jusqu’à elle, à l’entrée du métro. Essoufflé, il la regardait en souriant.
– Tiens, Théo ? Ca fait longtemps….
– Je voulais te dire quelque chose…
Le grondement du métro qui s’approchait interrompit le garçon. Mathilde regarda furtivement les portes s’ouvrir; une masse de passager s’engouffrait déjà à l’intérieur.
– Désolée, je suis pressée, s’excusa t-elle. On discute une autre fois ?
Mais il n’y aurait pas d’autre fois, Théo le savait. Malgré son sourire poli, il voyait bien qu’elle n’accordait pas beaucoup d’intérêt à cette conversation. Il n’y avait pas cette lueur dans ses yeux, cette lueur qu’il aimait tant, ce regard passionné qui l’animait parfois. Non, elle le regardait avec ses yeux ordinaires, ceux avec lesquels elle considérait le reste, les choses moins importantes.
– Bon, fit-elle devant l’absence de réaction de Théo. Je vais y aller….
– Non ! Cria t-il brusquement.
Sans réfléchir, il attrapa son bras gauche pour la retenir. Elle releva les yeux vers lui, étonnée. Il la fixait intensément. Il ne voulait pas que ça se termine comme ça. Non. Il l’aimait tellement fort, cette ignorance ne pouvait plus durer. Il voulait de l’amour en retour du sien. Il le voulait. Et il le pouvait. Mathilde cessa de se débattre. Elle qui fronçait les sourcils il y a peu semblait plus calme maintenant.
– Théo, tu….
Le métro quitta la station dans un grand bruit de moteur. Elle n’avait pas bronché. Elle aussi le regardait dans les yeux maintenant. Son regard avait changé. Ses pupilles ambre se mirent lentement à briller. Un sourire se dessina sur le bout de ses lèvres. Son visage devint celui que Théo avait toujours rêvé d’avoir devant lui.
– Tu voulais me dire quelque chose ?
Le changement était spectaculaire. Théo n’en revenait pas. C’était le plus beau songe qu’il n’avait jamais fait.
– Oui, je me disais que….on pourrait discuter un peu ?
Elle sourit.
– Je dois avoir raté ma correspondance maintenant…Ca te dit qu’on aille dans le parc à côté en attendant le prochain ?
Ils remontèrent les marches du souterrain pour de nouveau voir la lumière du jour. Le soleil commençait à se coucher, tintant le ciel d’une jolie couleur orangée.
– Viens, c’est par là.
Elle prit la main du jeune homme désemparé, et le mena non loin d’un petit espace vert près de leur fac. Théo ne connaissait pas cet endroit. Un joli petit carré boisé au milieu des immeubles, un banc, une balançoire et eux deux. Juste eux deux.
– Parle moi un peu de toi, fit elle en le regardant avec les même regard plein de malice. Qu’est ce que tu as fait de beau, depuis la Terminale ?
Ce fut le début d’une discussion fort sympathique. L’un des meilleurs moments de sa vie. Les deux camarades discutaient, riaient, rattrapaient le temps perdu, se rapprochaient l’un de l’autre.
– Tu sais, Théo…tu as vraiment changé depuis le lycée. C’est étrange, on avait jamais vraiment discuté, mais j’ai l’impression d’être si proche de toi….
Il ne répondit rien. Leurs visages se rapprochèrent. Elle était là, à lui. Théo la serra dans ses bras et l’embrassa.
Une sensation indescriptible l’envahit alors. Il crut d’abord à une joie infinie. Mais ce n’était pas ça. Au moment précis où ses lèvres touchèrent les siennes, quelque chose en lui se brisa. Ce n’était pas ce qu’il avait espéré. Pourtant, toutes les conditions étaient réunies pour qu’il soit heureux. Il était là, seul, avec la fille qu’il aimait, au milieu de ce parc. Mathilde, elle, était toute à lui. Elle le caressa doucement dans le cou, et posa sa tête contre son épaule. Et pourtant, quelque chose clochait. C’était trop….trop parfait. Comme s’il ne l’avait pas mérité.
Ce n’était plus vraiment Mathilde. Oui, c’était ses yeux, ses cheveux, son visage, mais il lui avait imposé cet amour. Rien de tout cela n’était réel, son prétendu pouvoir lui avait permis d’influencer les sentiments de la jeune fille. Il n’avait rien fait pour le mériter. Il souffrait maintenant de voir ses yeux malicieux se poser sur lui, lucide quant à leur sincérité. Ce n’était qu’une mise en scène, un fantasme plus réel que les autres. L’espace d’un instant, il s’était cru dans la réalité. Lui et Mathilde ! Comme il avait été naïf. La frustration laissa place au ressentiment.
– Ca suffit !
Il repoussa la jeune fille qui le tenait par le bras, à la grande surprise de cette dernière.
Il n’en pouvait plus. même ici, dans ce monde onirique où tout était possible, il ne pouvait pas fuir la réalité. Sa puissance fictive ne faisait que faire ressortir son impuissance réelle. Il voulut partir, loin, le plus loin possible d’elle. Il claqua des doigts et disparut en un éclair du parc.
Théo était de nouveau seul. Il avait été téléporté dans une sorte de désert. Là aussi, il faisait nuit. Le sable frais était balayé par des vents violents. Une tempête se préparait.
« Tu as laissé cette jeune fille toute seule ? »
– La ferme.
Théo serra les poings. Une immense colère monta en lui. Tous ses espoirs venaient de retomber, jamais il ne pourrait accomplir ces véritables désirs ici. Il fut alors pris d’une violente pulsion, d’une incontrôlable envie de détruire tout ce qu’il y avait autour de lui.
– MERDE !!
Le sol tout entier se mit à craquer. La terre se fissura, le sable forma un tourbillon tout autour de ses pieds. Le vent se convertit en un cyclone, qui se mit à graviter vers lui. Il se mit à pleuvoir tout autour de cette scène de chaos, d’anarchie, de brutalité absolue.
« Qu’est ce que tu fais ? Calme toi ! »
– VA T’EN !!
Cette voix de gamine, qui le harcelait depuis le début, commençait aussi à dépasser les bornes. Après son cri, ce fut le silence complet. Plus personne ne vint troubler sa colère. Théo cria, hurla de rage de toute ses forces, pendant au moins une dizaine de minutes. Le séisme se faisait de plus en plus violent, le vent balayait tout, la roche, les dunes, le paysage entier. Enfin, il se calma. La tempête s’arrêta au même moment..
Il regarda autour de lui. Il ne restait du désert qu’un champ de ruine vidé de toute beauté, à des kilomètres à la ronde. Des décombres, de la roche brisée, et des crevasses où s’entassait le sable. Il était le seul responsable – et spectateur – de cette folie.
– Mais qu’ai je fait ?
La pluie s’abattait toujours sur lui. Il s’assit près de la pierre la plus proche. Des légères larmes ne tardèrent pas à se dessiner le long de ses joues. Quelle désillusion ! Il y avait de quoi devenir fou. Etait-il puissant ou impuissant ? Il n’en savait plus rien. Il claqua des doigts. La pluie cessa. Il pouvait donc bien faire ce qu’il voulait. Et malgré cela, il était immensément triste, son cœur connaissait un vide qu’aucun pouvoir ne pourrait combler.
– Ce monde ne m’apportera pas ce que je souhaite.
Théo ferma les yeux. il voulait disparaître de cet univers, loin, ouvrir les yeux et être de retour dans son lit, que tout ceci ne soit plus qu’un cauchemar lointain. Tous ses pouvoirs ne pouvaient engendrer que malheur, il préférait encore les voir disparaître et retrouver son morne quotidien de tous les jours. Il pensa très fort, voulut que tout s’efface devant lui. Alors seulement, dans un ultime claquement de doigts, il ouvrit ses paupières.
Ce qu’il vit alors n’avait plus rien en commun avec ce qu’il avait connu. Théo n’était pas dans son lit, ni même dans le désert. Etait-il seulement sur Terre ? Il flottait désormais dans une sorte de vide inquiétant. Pour seul décor, une lueur verdâtre s’agitait dans tous les sens à l’horizon. Aucun objet, aucun odeur, aucun son. Le vide total.
L’adolescent ne comprenait pas. Lui qui avait comme ultime souhait désiré quitter ce monde de rêve, pourquoi n’était-il pas revenu à la réalité ? Dans quelle sorte de lieu avait-il atterri ? Si il était encore dans cet univers, c’est que ses pouvoirs ne l’avaient pas encore abandonné. Il insista alors, encore une fois. Quitter cet endroit. Il voulait quitter cet endroit.
Ses doigt s’agitèrent, le décor changea de nouveau. Les lumières vertes convergèrent en un point à l’horizon. Il y eut un flash lumineux. Allait-il enfin finir dans sa chambre ? Comme pour répondre à sa question, il se forma autour de lui un univers de glace. De la glace, à perte de vue. Rien d’autre. Théo, en plein milieu, tenta un pas en avant. Mais à peine avait il posé son pied que la glace se fissura; Un énorme trou se forma pile en dessous du jeune garçon. Celui ci tomba. Dans sa chute, la glace disparut alors.
L’indescriptible surgit alors. Autour de l’homme en chute libre, tout se modifiait de secondes en secondes. Vert, rose, orange, jaune, turquoise. Les couleurs se mélangeaient et formaient des cercles tout autour de lui. D’énormes bruits d’explosions, semblables à des feux d’artifices, retentissaient de part et d’autre de lui. Il n’y avait plus de haut, ni de bas. Plus de droite, de gauche, plus rien. Il n’y avait pas de vide, pas plus que de hauteur, et pourtant Théo continuait à chuter sans pouvoir s’arrêter. Tantôt, un flash de lumière venait l’aveugler. L’instant d’après, c’était le noir complet. Il avait beau gesticuler, penser, claquer des doigts, rien ne se produisait.
Il avait bien quitté le monde des rêves. Mais dans quoi s’était-il retrouvé ? Il essayait de se ressaisir, de quitter cet enfer par la force de sa pensée. Rien n’y faisait. L’éternelle chute continuait. Le décor s’affolait, se déformait, mutait à la folie au point d’en devenir méconnaissable. Des formes, des bruits, des odeurs comme il n’en existait pas dans le monde réel.
Théo n’en pouvait plus. Il ne reconnaissait rien, était perdu dans l’infernal espace temps qui s’étirait autour de lui. Il n’avait aucun repère, n’était plus sur de rien. Il avait eu le malheur de toucher à l’engrenage d’une machine qui le dépassait. Tout s’emballait, il n’avait plus aucun contrôle de la situation.
Sa colère s’était transformée en panique. Il voulut crier, hurler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Au milieu de nulle part, personne ne pouvait lui venir en aide. Il pensa très fort, implora la voix de revenir le conseiller, demanda à Mathilde de lui sourire, mais aucune réponse ne parvint. Il ne savait plus combien de temps s’était écoulé depuis que son calvaire avait commencé. Des minutes, des jours, des mois ? Il n’aspirait plus qu’à une chose : se réveiller.
– Tu crois toujours que ce n’est qu’un rêve ?
La voix grave parvint à Théo avec une précision déconcertante dans le chaos qui l’entourait.
– Comment cela pourrait-il être réel ? Je n’en peux plus, je veux rentrer chez moi !
– Ce n’est pas possible, gronda la voix. Tu as choisi toi même de t’isoler de ce monde. Je ne peux pas te laisser retourner vivre avec les autres hommes après ce que tu as vécu.
– C’est toi, celui qui m’a donné ces pouvoirs ? hurla t-il. C’est toi, hein ?
– Oui. Mais je suis forcé de constaté que les hommes ne sont pas encore prêts. Le test a raté.
– Pourquoi moi ? Tu as fait cela pour me donner une chance d’échapper à la routine, c’est ça ? Et comme j’ai été trop ambitieux en abusant de ces pouvoirs, tu m’as puni en m’amenant ici.
– ……
– C’est ça, la morale de l’histoire ??? REPONDS !!
La voix rauque éclata de rire. Théo toujours en chute libre, écouta attentivement sa réponse :
– Une morale ? Ne me fais pas rire. Pourquoi veux – tu donner un sens à tout cela ? Il y a moins d’une minute encore, tu te croyais encore dans un rêve. Tu as beau être dans ce que tu appelles « réalité », je n’ai pas de réponse logique à te donner. Pourquoi toi ? Il n’y a aucune raison particulière. Je t’ai pris au hasard sur un total de 8 milliards d’individus, sans motif spécifique à l’attribution de pouvoirs. je voulais simplement voir ce que tu allais en faire. Le fait que tu sois ici n’est le fruit que de tes propres décisions.
– C’est faux ! Je veux quitter cet endroit.
– Je te l’ai dit, ce n’est pas possible. Tu t’es laissé submerger par le pouvoir que je t’ai donné. C’est un échec. Tu ne peux pas sortir d’ici.
-Tu mens !
– Adieu, Théo. Sache que tu m’as bien diverti en te prenant pour un être supernel. Erre à jamais dans l’éternité.
Théo hurla. Son corps s’alourdit plus encore, accentuant sa chute vers l’infini.