https://www.youtube.com/watch?v=z_67RDMBEuQ
Novembre 2041. Cela faisait maintenant plus de six mois que le démon des ténèbres, Gariatron, après plus de vingt ans de règne de terreur, avait été vaincu. Cependant, le monde ne s’en était pas tiré sans séquelles. La surface, victime de nos affrontements incessants, était devenue inhabitable.
Les bâtiments étaient en ruine. Les champs dévastés. Les eaux des fleuves et des rivières polluées par tous les cadavres qui s’amoncelaient dedans. Les forêts brûlées et les plantes mortes faute de soleil. Et ces tableaux de fin du monde se répétaient partout sur le globe.
Cependant, peu à peu, grâce aux efforts commun d’une population réduite à quelques milliers d’individus par pays, les travaux de reconstruction avançaient à grand pas.
A la tête du pays, nous avions élu à l’unanimité notre ancienne chef de guerre, une femme forte du nom d’Hikari Miyako…même si en réalité, elle avait été obligée d’endosser encore une fois ce rôle car personne n’avait osé prendre cette responsabilité sur ses épaules…Enfin, il y avait bien eu Hélios mais il avait été hué et finalement condamné à l’exil par 99% de la population…le pourcent restant étant sa propre voix…
Les armées avaient également toutes été dissoutes temporairement dans le cadre d’un accord de paix internationale, si bien que de nombreuses personnes n’ayant connu que la guerre se retrouvèrent bien déconcertées.
Et moi, Yuiko Iori, ancienne générale de l’armée de libération, faisais partie de cette catégorie là. A présent que j’avais été démise de toutes mes fonctions, je passais mes journées à flâner à la surface, profitant de ce monde que je n’avais pu voir que dans la pénombre créée par le voile des ténèbres de Gariatron.
Avec mon père et ma mère adoptive, Laura Garden, nous nous étions installés loin de l’agitation de la capitale, dans une petite ville dans laquelle ils avaient grandi ensemble au bord de la Manche. Evidemment, il n’y avait presque plus rien ici mais miraculeusement, certains bâtiments avaient résisté, dont le manoir de mon père où nous vivions désormais.
Suivant notre exemple, quelques autres citoyens étaient eux-aussi retourné dans leur ville d’origine, même s’ils se comptaient sur les doigts de la main…Parmi eux, je connaissais le mari de notre ancienne présidente, un certain Yami Hiroki et sa fille, Akane, ainsi que sa seconde et amie proche, Fukuhara Nagisa. Tous les trois avaient été des soutiens précieux de mon père lors de la mort de ma mère et même maintenant, ils continuaient à s’occuper de lui.
Car oui, la guerre avait beau être terminée, certaines plaies étaient encore loin d’être refermées. Et la blessure dans le cœur de mon père était particulièrement profonde…pourtant ce n’était pas faute d’avoir essayé mais rien de ce que je pouvais faire ou dire ne suffisait à remettre l’étincelle de la vie dans ses yeux.
Cependant, Laura et moi, nous n’avions pas renoncé. Je savais qu’un jour, je retrouverais le père que j’avais connu par le passé, c’était une certitude que je partageais avec ma mère adoptive.
https://www.youtube.com/watch?v=eL4mJHaxGLM
C’était un jour comme les autres depuis la fin de la guerre. Je me promenais sur la plage au crépuscule, profitant simplement des derniers rayons de soleil embrasant une mer de feu et réchauffant légèrement ma peau glacée par le vent froid de l’hiver.
Au loin, j’entendais le fracas des vagues s’écrasant avec violence contre la falaise qui surplombait la ville. Mais c’était tout. Pas de sirène stridente me vrillant les tympans. Pas de pleurs de personnes ayant perdu leurs proches. Pas d’explosion ni de bruit de mitrailleuses. Pas d’hurlement. Rien. Juste un calme infini et une mer d’huile.
Derrière moi, je pouvais discerner, enfouie sous un fin tapis de neige immaculée, les ruines de la ville, mais surtout les hautes grues et les échafaudages, seules touches de couleur dans un paysage bien monotone et dénué de vie.
Même si ce tableau tout droit sorti d’un rêve pour la guerrière que j’étais s’offrait à moi tous les jours, je continuai à être émerveillée à chaque fois que je venais ici et ne m’en lassais jamais.
Je marchais lentement sur les restes d’un petit muret, qui autrefois avais certainement dû servir à délimiter la plage de la ville, en chantonnant un air que ma mère m’avait appris des années auparavant.
Soudain, mon attention fut attirée par la présence d’une autre personne sur cette plage abandonnée. Au début intriguée par cette présence inhabituelle, je reconnus rapidement la jeune fille qui faisait face à la mer.
Il s’agissait de la fille de la présidente, Yami Akane. C’était une fille de mon âge, grande, aux longs cheveux cramoisis et au visage fin. Sur son front tombaient quelques petites mèches négligées et une bien plus grande cachait presque entièrement le côté droit de son visage. Son regard, bleu glacé, semblait en permanence lancer des éclairs mais refermaient également une tristesse dont je n’arrivais pas à déterminer l’origine.
Elle était le portrait craché de sa mère somme toute, même si je ne les avais jamais vues côte à côte…
Comme à son habitude, elle portait un long manteau noir descendant juste au-dessus de ses genoux ainsi qu’un simple tee-shirt bleu foncé et un jean assorti.
En m’entendant arriver, la jeune fille tourna légèrement la tête dans ma direction et je lui lançai un large sourire en guise de salutation avant d’aller la rejoindre.
-Salut Akane ! Lui dis-je joyeusement.
-Et moi qui voulais être tranquille, voilà que je tombe sur la plus bruyante d’entre toutes ; soupira-t-elle en réponse.
-Est-ce ainsi que l’on s’adresse à sa supérieure, lieutenant Yami ? Raillai-je en bombant le torse pour paraitre plus impressionnante.
La rouquine me lança alors un regard si noir que je reculai instinctivement. Voyant qu’elle m’avait déstabilisée, un léger sourire moqueur se dessina sur sa figure et elle posa sa main sur sa hanche d’un air satisfait.
-eh bien alors mon général, la fin de la guerre ne vous réussit pas j’ai l’impression.
-Il faut croire, oui ; ris-je en me frottant le crâne, gênée. Et donc, qu’est-ce qui t’amène ici ? C’est rare de croiser quelqu’un sur cette plage.
La jeune fille détourna le regard et shoota dans un caillou en baissant la tête.
-J’avais besoin de prendre l’air, rien de plus ; marmonna-t-elle sans grande conviction. Mais je vais rentrer je pense.
Sans ajouter un mot, Akane tourna les talons et commença à s’éloigner dans la direction opposée.
Même si nous avions été assez proches pendant la guerre, jamais je n’avais réussi à percer les mystères l’entourant. Elle ne parlait que peu d’elle-même et dès que j’abordais le sujet, je me heurtai sans cesse à un mur…Et visiblement, la chute de Gariatron n’avait rien changé…
Cependant, alors que j’allais également prendre le chemin du retour, mon amie se retourna une dernière fois et me lança :
-Ah oui, avant que j’oublie Iori, je suis allée chez Nagisa un peu plus tôt dans l’après-midi et elle m’a dit qu’elle avait quelque chose pour ton père. Tu devrais passer la voir toi aussi.
Et sur ces belles paroles, Akane disparut au coin de la rue, me laissant seule sur la plage. N’ayant rien de prévu avant la fin de la soirée, je décidai de faire un détour par la maison de la seconde de la présidente, intriguée par ce mystérieux présent.
Je passais rarement dans la partie de la ville où habitait Nagisa. En réalité, depuis que nous nous étions installés, je n’en avais visité qu’une infime partie, me contentant de faire toujours les mêmes balades, de me promener toujours dans les mêmes coins connus. C’était certainement une habitude prise pendant la guerre puisqu’il nous était impossible de sortir des sentiers battus.
La route était recouverte d’une fine couche de neige vierge de toute trace de pas. C’était stupide mais je me sentais honteuse de détruire cette harmonie si parfaite en marchant dessus avec mes chaussures pleines de sables et de poussière.
Je longeai la mer pendant une bonne dizaine de minutes tandis qu’au loin, l’astre du jour disparaissait lentement derrière l’horizon et faisait flamboyer la falaise visible depuis n’importe quel point de la ville, telle un gardien veillant sur elle. Souvent, je voyais Laura se diriger là-bas mais jamais elle ne m’avait dit pourquoi.
Je continuai ma route en tournant dans la grande avenue où logeait Nagisa. Après quelques minutes de marche supplémentaires, j’arrivai sur le palier et je fus surprise par l’état des bâtiments aux alentours. Les petits pavillons individuels tenaient à peine debout. La plupart des toits s’étaient effondrés et les jardins grouillaient de mauvaises herbes. Les travaux n’avaient sûrement pas encore commencé dans cette partie de la ville…Alors pourquoi la seconde de Miyako s’était-elle installée ici ?
Pendant que je réfléchissais, une voix familière m’interpela derrière moi.
-Oh, mais si ce n’est pas l’ancienne Générale, Yuiko Iori, ça faisait un bail dis-moi.
Je me retournai et ma supérieure m’apparut, un sac de courses à la main. C’était une femme brune, aux cheveux assez courts tombant juste au niveau de ses épaules. Ses yeux marron clair reflétaient une grande gentillesse et elle avait conservé un visage assez enfantin malgré les dommages de la guerre, nettement visibles sur sa peau. Elle portait une grosse laine et une écharpe que je lui enviais en cette fin de mois de novembre.
Par réflexe, je me mis au garde-à-vous immédiatement, ce qui lui arracha un sourire non dissimulé.
-Yuiko Iori, au rapport ! M’exclamai-je. Enfin…Euh…Non, je voulais dire…
-Repos, soldat ; s’amusa ma supérieure en riant de bon cœur. Il serait temps de perdre ces mauvaises habitudes, tu ne crois pas ?
Je m’empourprai, honteuse et détournai le regard. Laura me répétait souvent cela aussi mais j’étais butée et je n’arrivais pas à changer mes habitudes.
Nagisa me proposa d’entrer, ce que j’acceptai et elle me laissa quelques minutes dans le salon, le temps de ranger ses dossiers concernant la gestion de la reconstruction de la ville.
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L’intérieur était vraiment…délabré. Une vieille télévision datant certainement des années 2010 ne fonctionnant plus qu’une fois sur deux, quelques canapés déchirés par le temps, des chaises cassées, une table poussiéreuse et des tapis troués au sol. Dans un coin, il y avait également une étagère tenant debout par miracle sur laquelle s’entassaient des tonnes de papiers et de livres.
Les murs et le plafond quant à eux laissaient entrevoir plus de pierre que de peinture et l’eau semblait s’infiltrer partout.
Je me sentis tout à coup bien privilégiée dans mon manoir, presque honteuse à vrai dire de vivre dans un relatif confort alors que même la seconde de la présidente souffrait de l’hiver et du temps…
Après quelques rangements, Nagisa me tendit un chocolat chaud et m’invita à m’asseoir là où je pouvais.
-J’ai croisé Akane tout à l’heure ? lançai-je. Vous…enfin, tu voulais me voir, Nagisa ?
-Ah oui, en effet, elle est passée tout à l’heure parce que sa mère faisait un saut chez elle. Je me demande ce qu’elles ont ces deux-là tout de même…La dernière fois que j’ai demandé des nouvelles d’Akane à Miyako, elle a totalement éclipsé le sujet…
-Pareil du côté d’Akane ; soupirai-je. Elle a encore ses deux parents elle, elle devrait en profiter pourtant…
-Enfin, si je t’ai demandé de venir, ce n’est pas pour parler d’un mystère insoluble mais parce que je viens de recevoir quelque chose pour ton père.
Nagisa me tendit alors un épais livre…ou plutôt un tas de feuilles volantes collées les unes aux autres et je fronçai les sourcils en lisant les premières lignes.
-Un projet de mémorial ? M’étonnai-je.
-Oui, Miyako tenait à en ériger un dès la fin de la guerre. Mais cette liste est bien loin d’être exhaustive, cela nous prendra encore plusieurs semaines avant de le terminer.
-Tu veux donc que je remette cette liste à mon père ? C’est comme si c’était fait !
Je me levai d’un bond, prête à courir chez moi pour accomplir mon devoir mais dans ma précipitation, une photo coincée entre les pages tomba à mes pieds.
C’était une très vieille photo, vieillie par le temps mais dessus, je pouvais aisément reconnaitre mon père au même âge que moi, accompagné d’une jeune fille blonde au regard bleu pétillant ainsi qu’un garçon aux airs un peu perdu. Tous trois posaient devant une sorte de stand à l’intérieur d’un stade.
Il s’agissait certainement d’une photo d’avant-guerre, et les deux personnes accompagnant mon père étaient certainement Angéla et Drago, ses deux partenaires de duel.
Laura m’avait souvent parlé d’eux. La première avait tout bonnement disparu sans laisser de traces avant le combat contre le démon. Quant au second…il était celui qui avait permis à mon père de s’échapper et de fonder la résistance…
Un voile de tristesse passa devant les yeux de Nagisa et celle-ci ramassa la photo d’un air nostalgique.
-La coupe du monde de duel…Cela me rappelle des souvenirs ; soupira-t-elle.
-La coupe du monde de duel ? répétai-je, surprise.
Mon ancienne supérieure ne me répondit rien et se contenta de fixer la vieille photo, comme perdue dans ses pensées.
-Déjà vingt-sept ans…le temps passe trop vite ; murmura Nagisa.
-Tu…tu as connu mon père à cette époque ? M’étonnai-je.
Elle secoua la tête négativement.
-Je l’ai simplement vu à la télévision…
Je lui lançai un regard intrigué. Après tout, même si nous avions vécu plus de dix ans ensemble dans les souterrains de la capitale, je n’en savais que très peu sur son passé avant qu’elle ne rejoigne la résistance.
-Dis…Je me suis toujours demandé…Mais comment as-tu rencontré mon père ?
Nagisa se rassit sur son fauteuil et me parut soudainement bien plus âgée et fatiguée qu’elle ne l’était.
https://www.youtube.com/watch?v=ZKCCs9DNEJs
-Je m’en souviens comme si c’était hier…Nous avions regardé l’événement avec ma famille depuis notre petit village de campagne et donc son visage ne m’était pas inconnu. Nous vivions vraiment tranquillement. Mais comme tout le monde, nous avons été victimes du démon. Avec un vieil homme, nous avons dû fuir notre maison et errer dans les ténèbres…J’ai perdu toute ma famille dans notre course effrénée et lorsque je suis arrivée ici, seule, je n’y ai trouvé que ruines et désolation. Pendant un temps, je suis cachée, du mieux que je pouvais et c’est pendant cette période là que je l’ai rencontrée : Hikari Miyako.
-La…La présidente vivait ici aussi ? Bégayai-je.
-Oui. Elle aussi a été victime du démon pour les pouvoirs qu’elle possédait. Cependant, contrairement à moi, elle avait réussi à constituer un petit groupe de personnes qu’elle dirigeait. Parmi eux se trouvaient beaucoup de hauts gradés de l’armée, comme le Grec ou même Hiroki…Ainsi que tes parents. C’est à partir de là que nous nous sommes dirigés vers la capitale où nous avons constitué la résistance que tu as connue, Iori.
-C’est amusant…moi qui aie vaincu le démon, je ne connaissais même pas l’origine de mon propre mouvement…ris-je légèrement.
-Laura non plus ne le connaissait pas, elle ne nous a rejoint que tardivement et j’imagine que tes parents auraient préféré te préserver de tout cela mais que le destin en a voulu autrement ; me répondit Nagisa d’une voix douce et réconfortante.
Je restai chez elle jusqu’à la tombée de la nuit, parlant de tout et de rien, de choses importantes comme l’avenir de la ville tout comme de banalités comme la crise d’adolescence d’Akane puis nous nous quittâmes en laissant la question du mémorial en suspens.
Lorsque je franchis le portail de notre manoir, je fus surprise de voir la porte d’entrée ouverte ainsi qu’une voiture garée devant, voiture que je reconnus immédiatement en repensant à ce que Nagisa m’avait dit un peu plus tôt dans la soirée.
https://www.youtube.com/watch?v=IU3nyjA08Kg
Mais, à peine avais-je fais trois pas dans mon salon que je me retrouvai nez à nez avec trois grands gaillards aux airs peu amicaux qui me barrèrent l’entrée et devant eux, il y avait une autre personne, essayant de parler à mon père, assis à une table, une bouteille de vin à la main.
Cette dernière se retourna et je la reconnus immédiatement. De longs cheveux rouges comme les flammes et un visage effilé et froid comme la glace, des yeux bleu azur et une longue mèche de cheveux lui tombant sur l’œil droit, il ne pouvait s’agir que de…
-Bonjour, présidente Hikari ! M’exclamai-je en me mettant une fois de plus au garde à vous.
-Iori, c’est bien toi ? Dit-elle surprise en me voyant.
-Ohoh, mais si ça ne serait pas notre ancienne générale…
-Le Grec, laisse-là passer, nous n’avons pas le temps ; grogna la présidente.
-Si vous n’aviez pas tenu à courir après votre fille, nous aurions le temps, très chère présidente ; rétorqua le garde du corps.
Miyako ignora sa pique et me prit dans ses bras puis m’embrassa sur le font. Cela me faisait un peu étrange d’être traitée ainsi par celle qui était autrefois ma supérieure hiérarchique mais aujourd’hui, bien que présidente, elle n’était plus qu’une sorte de tante pour moi.
-Je suis désolée d’être passée à l’improviste comme ça, je devais prévenir ton père d’une chose importante mais cette tête de mule n’a même pas daigné m’écouter. Franchement, je te plains d’avoir un père pareil ma pauvre Iori ; soupira Miyako d’un air compatissant.
-Ne lui en voulez pas trop, c’est quand même en partie grâce à lui que nous sommes là aujourd’hui.
-Oui, certes…Mais bon, je préférerais que le héros de la résistance soit un peu plus enjoué lorsqu’il fera son discours pour le mémorial…J’espère que tu sauras lui faire entendre raison…
-Comptez sur moi présidente Hikari, je ferai de mon mieux !
-Ne m’appelle pas comme ça s’il te plait, nous ne sommes plus à l’armée…
-Ohohoh, mais on dirait qu’il est l’heure de partir, grande Présidente Hikari, sinon le Sunbird va être très mécontent ; nous coupa l’un des hommes présents.
-Je suis entourée d’imbéciles ; soupira la femme aux cheveux de flammes en se prenant la tête dans les bras avant de tourner les talons en compagnie de ses gardes du corps.
https://www.youtube.com/watch?v=5KMzDVf2Bx4
Il ne restait plus que moi et mon père dans la pièce et ce dernier sembla enfin notifier ma présence.
-Oh Iori, tu reviens tard aujourd’hui ; dit-il d’une voix monocorde.
-Je suis passée chez Tante Nagisa, elle m’a chargée de te remettre ça.
Je sortis le bloc de feuilles de ma poche et le posai sur la table mais mon père ne le regarda même pas.
-Oh, je vois. Et comment va-t-elle ?
-Elle se portait bien, elle n’a pas vraiment changé depuis la fin de la guerre.
-Il faudra que j’aille la voir un de ces jours aussi…Mais dis-moi Iori, as-tu déjà diné ? Depuis que Laura est partie en mission à Paris, j’ai du mal à m’occuper de tout…
-Non, pas encore, mais ne te dérange pas pour ça, je me débrouillerai seule !
-Ne t’inquiète pas, Iori, tu en fais déjà bien assez et je peux encore au moins faire ça je crois…Si Laura était là, elle me passerait un savon de toute façon.
Mon père se leva péniblement et se dirigea vers la cuisine. Quelques secondes plus tard, une désagréable odeur de brûlée parvint jusqu’à mes narines. Malgré les efforts qu’il faisait, mon père restait une catastrophe en cuisine et le départ de Laura n’avait rien arrangé. Je pris donc sa place derrière les fourneaux et nous dinâmes dans le salon avant d’aller nous coucher.
Lorsque je remontai enfin dans ma chambre, je pus effacer le faux sourire figé sur mon visage depuis mon retour. J’avais beau me convaincre que la situation s’était légèrement améliorée, j’avais l’impression d’être encore à des années lumières du père que j’avais connu par le passé.
https://www.youtube.com/watch?v=lFUlliTQEfk
Le lendemain, je préparai le petit déjeuner aux aurores comme chaque matin avant de partir flâner en ville. La journée passa rapidement entre les services que je rendais aux habitants et la visite des quartiers que je ne connaissais pas encore. Je croisai à nouveau Akane sur la plage mais celle-ci était toujours aussi peu bavarde et ne resta que quelques minutes avec moi avant de repartir.
Cependant, alors que je m’apprêtai à rentrer moi aussi, une étrange idée me passa par la tête. Non loin de là se trouvaient les ruines de ce qui était autrefois le lycée de la ville.
Ayant du temps à perdre et m’étant toujours questionnée sur le fonctionnement des écoles avant ma naissance, je décidai de faire un léger détour.
Evidemment, tout avait été détruit et les murs semblaient sur le point de s’écrouler au moindre tremblement mais j’étais habituée depuis le temps et j’entrai à l’intérieur du bâtiment principal.
Je fus dans un premier temps, assez déçue. Il s’agissait d’un hall totalement classique aux fenêtres brisées et aux portes défoncées. Comme dans tous les bâtiments, il restait des traces de bataille tels que des marques de griffures, de brûlure ou même de sang un peu partout.
Les salles de classe étaient saccagées. Les tableaux noirs gisaient sur le sol en plusieurs morceaux tandis que les chaises et les tables avaient vraisemblablement servies à ériger des barricades.
Je ne m’attardai que peu sur ces salles répétitives et assez similaires à d’autres endroits que j’avais pu explorer avant.
Cependant, alors que je marchai dans un long couloir un peu à l’écart du reste, je finis par tomber sur une porte presque intacte, voire neuve.
https://www.youtube.com/watch?v=eIqxHpK97m4
Etonnée, je tournai la poignée avec précaution et la porte de bois s’ouvrit en grinçant, mais ne s’effondra pas sous son propre poids. Vraiment, cet endroit avait été miraculeusement épargné.
Je découvris aussitôt un nouveau monde. Ce n’était qu’une petite salle comme il y en avait tant d’autres dans le lycée. Deux canapés cachés par des draps blancs se faisaient face au milieu. Près de la fenêtre, elle aussi intacte, un bureau encore sous plastique donnait sur la cour du lycée et sur les côtés, deux étagères à peine terminées supportaient le poids de nombreux cartons encore fermés.
Au loin, le soleil orangé du soir traversait les vitres et projetait d’immenses ombres sur le sol tout en faisant scintiller tous ces meubles neufs.
C’était la première fois depuis que j’arpentais des ruines que je tombai sur une pièce ayant totalement échappé à la guerre, figée en l’an 2014.
J’étais tout simplement fascinée, mais aussi un peu déboussolée. Sans savoir pourquoi, je me mis à imaginer ce qu’aurait été la vie de mes parents si tout cela n’était jamais arrivé. Auraient-ils monté un club dans une salle comme celle-là ? Laura aurait-elle été membre, de même que Nagisa ? Et Miyako aurait-elle pu prendre la tête de ce club ?
Je ne pus m’empêcher de sourire. Evidemment. Je voyais parfaitement mes parents se disputer pour un quelconque jeu, assis autour de la table. Nagisa aurait tenté de les calmer tant bien que mal et Miyako les aurait royalement ignorés, assise à ce bureau tout en observant la cour d’un air supérieur. Quant à Laura…elle aurait bien été du genre à acheter un piano et le placer près de la fenêtre, simplement pour ne plus entendre ces disputes incessantes.
Plus je réfléchissais et plus j’étais convaincue par les scénarios que j’envisageais.
https://www.youtube.com/watch?v=g5lLa8guULs
Les jours qui suivirent, je revins plusieurs fois dans cette mystérieuse salle figée dans le temps. Parfois je m’asseyais simplement derrière le bureau pendant la journée entière et regardais à travers la grande baie vitrée l’avancement des travaux, telle une superviseuse de projet. Il m’arrivait également de passer un coup de plumeau ou de balais pour rendre à cette pièce son état d’origine, mais sans jamais oser toucher aux cartons ni aux protections des meubles, de peur de faire perdre sa magie à ce lieu.
Je finis par me sentir un peu chez moi dans cette salle, entourée des fantômes d’une réalité alternative, m’imaginant encore et encore comment aurait été la vie sans l’attaque du démon.
Cependant, après plusieurs semaines, la curiosité prit le dessus et je décidai d’ouvrir les cartons qui s’entassaient sur les étagères.
Au début, je ne trouvai rien de bien passionnant. Il y avait essentiellement des bibelots sans intérêt, de gros dossiers longs et peu intéressants, des plans de l’école et même quelques vieilles factures. Mais je ne perdais pas espoir de trouver quelque chose au milieu de ces babioles et j’eus raison de m’acharner.
Caché derrière une montagne de cartons que je n’avais pas encore déballés, je repérai un petit journal poussiéreux. Je l’ouvris et je vis le nom d’Hikari Miyako en première page. Il était daté de janvier 2014, l’année du commencement de la guerre et retraçait jour après jour, comment notre présidente actuelle avait fondé son propre club de duel.
Evidemment, je ne pus lire tout le contenu en une seule soirée, et c’est pourquoi, je revins encore et encore, chaque soir, pour continuer ma lecture. Et plus j’avançai dans ce récit, plus je me convainquais que les choses auraient dû être autrement.
La présidente avait arrêté de tenir ce journal environ quelques semaines seulement après l’attaque du démon mais l’univers qu’elle décrivait avant, les moments qu’elle passait avec ses amis, l’énergie qu’ils mettaient à créer leur club, les difficultés auxquelles ils faisaient face ensemble sans qu’aucune vie ne soit en jeu…Mes parents auraient dû connaitre cela eux-aussi au lieu de se battre pour leur survie…et pour celle de l’humanité.
Soudain, un bruit de pas dans le couloir attira mon attention. Par réflexe, je m’empressai de ranger le journal intime mais je me détendis en voyant apparaitre dans l’angle de la porte la chevelure rousse d’Akane.
Celle-ci, ne s’attendant visiblement pas non plus à tomber sur quelqu’un au milieu de ces ruines, eut un temps d’arrêt.
-Iori…Que fais-tu ici ? Me demanda-t-elle froidement.
-Je me balade, quelle question ; lui répondis-je avec entrain.
-Je repose ma question : que fais-tu ici depuis une semaine ?
Je grimaçai. J’avais été tellement absorbée par cet endroit que je n’avais même pas fait attention à ce qui m’entourait. J’avais réellement relâché ma vigilance depuis la fin de la guerre…
-J’ai simplement trouvé le journal intime de ta mère dans ces vieux cartons ; repris-je d’un air naturel.
Le visage de la rouquine se crispa en entendant cela et je vis sa main se contracter légèrement, signe de son agacement mais elle reprit de son ton glacial :
-Tu as vraiment du temps à perdre ma pauvre Iori.
-Tu pourrais au moins t’énerver que je lise quelque chose d’aussi personnel…Grimaçai-je devant le manque de réaction de mon amie.
-Je suis certaine que c’est sans intérêt.
-Et toi alors, qu’est-ce que tu viens faire ici depuis une semaine ? Puisqu’apparemment tu viens tous les jours pour savoir que je suis là ; rétorquai-je d’un ton malicieux.
-Mon père me sort par les yeux, rien de plus.
https://www.youtube.com/watch?v=8zj0eWxRYU4
Sans même me demander mon avis, mon amie s’assit de trois-quarts sur l’un des canapés, les jambes croisées et le bras appuyé sur le dossier puis me regarda d’un air sérieux.
-dis-moi, générale Iori, est-ce que tes parents t’ont déjà parlé de l’avant-guerre ? Me demanda-t-elle soudainement et sans transition.
-O…Oui, souvent ; bégayai-je, déconcertée. Pourquoi cette question ?
-Ma m…Enfin, Miyako vient de donner le registre qui est censé aider dans la construction du mémorial, qui est une idée stupide au passage, il y a bien trop de victimes pour toutes les recenser.
-C’est pour cela que Nagisa demande de l’aide à tous les habitants, non ?
-Ce n’est pas la question. Ce registre avait été fait au début de la guerre pour recenser toute la population de l’époque.
-Oui, je m’en souviens mais où veux-tu en venir ?
-Certaines personnes portées disparues avaient été inscrites par les membres de leur famille afin de lancer des recherches.
Le visage d’Akane, déjà froid, s’assombrit davantage et la jeune fille me lança un regard rempli de doutes et de suspicions. Je déglutis, m’attendant déjà au pire, mais rien de ce que j’avais pu imaginer ne m’avait préparé à cela.
La rouquine sortit une feuille pliée de sa poche et la jeta à mes pieds. Lorsque je lus ce qui était marqué dessus, mon sang se glaça immédiatement.
-Dans ce cas-là, peux-tu m’expliquer…pourquoi ta mère recherchait son père adoptif ? Pourquoi recherchait-elle celui qui avait causé toute cette souffrance ? Pourquoi recherchait-elle à sauver Hélios ?
Je n’avais rien à répondre. J’ignorais moi-même cela. Ma mère n’avait jamais évoqué cette partie-là de son passé. Mais les faits étaient sous mes yeux. Pour une raison que j’ignorais, Hélios, le vassal de Gariatron, avait été un jour pour elle comme un père.
Lentement, je me baissai pour ramasser la feuille de papier sur laquelle figurait le visage d’Hélios et, tandis que les interrogations se bousculaient dans ma tête, j’eus une idée folle.
Je ne pouvais pas laisser une telle interrogation en suspens. Actuellement, Hélios avait disparu de la circulation mais j’étais persuadée que la présidente Hikari savait où il se trouvait réellement. Si seulement je pouvais le rencontrer, peut-être aurait-il pu m’apporter des réponses sur cette zone sombre dans le passé de ma mère…
Résolue, je relevai la tête et me tournai vers Akane qui attendait toujours ma réponse.
-Non, je ne peux pas t’expliquer pour le moment…Mais nous pouvons aller chercher ces réponses directement auprès de l’intéressé.
Un léger sourire fourbe passa sur le visage de mon amie qui eut l’air subitement très intéressée.
-Est-ce que notre générale serait sur le point de faire quelque chose qui menacerait l’équilibre du pays ? Par exemple prendre le risque que Miyako révèle au monde où se trouve celui qui a voulu détruire le monde ?
-Jamais mon père ne voudra me parler de cette période et il me faut des réponses, Akane. Si parler à Hélios est le seul moyen, alors je le ferai, et j’irai voir la présidente Hikari pour qu’elle me dise où le trouver.
La rouquine se leva alors et ferma les yeux, non sans conserver le sourire mauvais qui illuminait désormais son visage.
-Être prête à mettre un pays sortant de guerre à feu et à sang pour une simple réponse…Je t’envie, ex-générale Yuiko Iori.
Sur ces mots, Akane sortit de la salle et me laissa seule mais le mal avait été fait.
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Les jours qui suivirent, je ne parlai pas de mon projet à mon père et je me contentai d’agir normalement, tout en préparant mon expédition dans mon coin.
Je contactai Laura pour avoir un endroit où loger une fois sur place, sans pour autant lui expliquer la raison de ma venue. Je demandai également à Nagisa de veiller sur mon père en mon absence, à Akane de s’occuper du recensement et je fis promettre à Miyako d’accéder à ma requête lorsque je la verrai, ce qu’elle accepta naivement, pensant certainement que cela ne pouvait pas avoir une grande importance et finalement, au bout d’une semaine, tout fut fin prêt.
Ce jour-là, je me levai comme chaque matin, préparai le petit déjeuner puis attendis que mon père se lève à son tour. Vers dix heures, il arriva, l’air toujours aussi fatigué et le regard toujours aussi vide que d’habitude.
-Papa, j’ai quelque chose à te dire ; déclarai-je solennellement.
-Iori, qu’y a-t-il pour que tu sois si sérieuse dès le matin ? Me demanda-t-il, surpris.
-J’ai quelque chose à faire à Paris, je dois partir pour le week end.
-A…Paris ? Répéta-t-il soudain totalement réveillé. Tu y vas toute seule ? Je devrais t’accompagner, tu ne penses pas ?
-Ne t’inquiète pas, je suis une grande fille maintenant, j’ai presque dix-sept ans et j’étais générale de l’armée après tout ! Laura a accepté de me loger pendant ce temps, et puis j’ai demandé à Nagisa de passer te voir également.
-Tu n’avais pas besoin d’en faire autant Iori, je peux me débrouiller seul tu sais…
-Tss, Tss, Tss, il n’y a pas à discuter, je serais de retour très vite en plus !
Mon père baissa les yeux sur son verre et ne parla pas pendant quelques instants, comme perdu dans ses pensées, avant de déclarer :
-Je t’accompagnerai au moins jusqu’au train, c’est le moins que je puisse faire pour ma fille…
Je ne refusai pas sa proposition et vingt minutes plus tard, nous nous retrouvions dans la rue à marcher en direction de la gare de la ville. En vérité, j’aurais préféré qu’il reste tranquille, mais nous ne nous étions jamais promenés ainsi, tous les deux, depuis que nous nous étions échappés des souterrains.
Nous passâmes devant le parc de la ville, toujours laissé à l’abandon, puis devant les ruines du lycée puis nous longeâmes la côte.
Au fond de moi, j’étais vraiment heureuse à ce moment-là. Même si mon père restait silencieux, j’avais l’impression de retrouver celui que j’avais toujours connu avant la mort de ma mère. Nous faisions aussi parfois ce genre de balade dans la ville souterraine lorsque je n’étais encore qu’une enfant, dans le seul but de me faire oublier les horreurs de la guerre et de profiter du peu de temps de répit qui nous était accordé.
La gare avait été la première infrastructure à être réparée en ville, de même que le réseau de chemin de fer dans son intégralité. La présidente avait tenu avant tout à rendre à nouveau opérationnel les déplacements, afin de nous rappeler que nous n’étions plus enfermés et que nous pouvions aller là où bon nous semblait.
C’est pourquoi, au milieu des ruines grisâtres, des décombres et des ordures s’élevait un immense bâtiment flambant neuf, entièrement construit en verre. Même si tout n’était pas encore parfaitement en état de marche, de nombreux trains allaient et venaient sur les rames, avec à leur bord des dizaines de passagers.
Au plafond, l’immense verrière laissait entrer un soleil éblouissant se reflétant sur les vitres des locomotives et des portes. Au milieu du hall d’entrée, une statue de marbre à l’effigie d’un soldat inconnu et blessé terrassant un dragon avait été érigée pour nous rappeler notre victoire sur le démon, non sans douleur.
-Miyako a fait du bon travail…Murmura mon père, admiratif.
-Oui, et tu verras, bientôt toute la ville sera aussi flamboyante que cette gare ! M’exclamai-je.
-J’attends de voir ça, oui ; s’amusa-t-il.
Mon père m’embrassa brièvement lorsque la sirène du départ retentit puis je montai dans le train. Il resta sur le quai, à attendre mon départ et me fit des signes lorsque le wagon se mit en marche, signes que je lui rendis en souriant.
Le voyage dura un peu moins d’une heure et demi, heure pendant laquelle je regardai le paysage, toujours aussi monotone et déprimant, se résumant à des ruines, des terres stériles et des routes dévastées, défiler sous mes yeux en rêvassant à un passé que je n’avais pas connu. Comment ma mère avait-elle rencontré Hélios ? Pourquoi le considérait-elle comme son père ? Mon père était-il au moins au courant ? Pourquoi ne m’en avait-elle jamais parlé ? Hélios…était-il un allié depuis le début malgré tout ce qu’il avait fait ? Tant de questions qui trottaient dans ma tête et auxquelles je n’avais aucune réponse…
La sirène du train me tira de mes pensées et je rassemblai mon bagage puis je descendis sur le quai. La maison de Laura n’était pas tout près, au moins à vingt minutes de marche de la gare d’après mes souvenirs, mais heureusement, je n’étais pas pressée.
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Cependant, alors que j’allai me mettre en route, je vis une personne qui attira mon attention. C’était une grande femme brune, aux yeux verts comme l’émeraude et à la silhouette élancée. Son visage était celui d’une femme de trente ans mais ses cernes et les quelques rides qui apparaissaient sur son front trahissait qu’elle entrait dans la quarantaine, comme mon père. Elle portait simplement un long manteau noir, comme pendant la guerre, au-dessus d’une tenue bien plus classique.
-Laura ? M’étonnai-je.
La femme se retourna et me lança un large sourire.
-Iori, je n’y croyais plus, te voilà enfin ! S’écria-t-elle.
-Tu m’attendais ? Mais pourquoi donc ? Lui demandai-je étonnée. Je connais la ville quand même, je n’allais pas me perdre…
-Tu n’es pas revenue ici depuis la fin de la guerre, je te devais au moins ça ; me répondit Laura d’une voix douce. Je suis certaine que tu n’aurais pas reconnu la ville avec tous les travaux de toute façon.
Lorsque nous sortîmes de la gare, je me rendis compte qu’elle avait raison. Partout, des échafaudages, des barrières et des routes barrées avaient envahi les rues. Les ruines que j’avais connues autrefois n’étaient déjà plus qu’un mauvais souvenir et déjà de nombreux immeubles dans le style haussmannien avaient ressurgi de terre.
Sur le chemin, je me rendis compte à quel point la capitale était en train de renaitre et la vie reprenait son cours rapidement, oubliant peu à peu les blessures du démon.
Les décorations de noël, auparavant jonchant le sol dans la poussière, scintillaient à nouveau sur les balcons et les façades des bâtiments. Les gens se pressaient pour prendre le bus et le métro dans les grandes avenues. Plus loin, je pouvais voir une sortie d’école où la nouvelle génération, n’ayant certainement que peu de souvenirs de la guerre, rentrait joyeusement chez leurs parents.
Après une bonne demi-heure de marche, nous arrivâmes finalement chez Laura. Son appartement était certes moins impressionnant que le manoir de mon père mais il se trouvait en plein cœur du « vieux » Paris désormais reconstruit à l’identique.
-Alors Iori, dis-moi tout, qu’est-ce qui te ramène à Paris si soudainement ? Me demanda ma mère adoptive une fois que j’eus déballé mes affaires.
J’hésitai à lui dire la vérité. Après tout, j’allais tout de même voir l’homme le plus controversé sur terre, et ce, sans en avoir parler à personne à part Akane…Non, il n’avait pas besoin de savoir finalement, c’était une chose que je devais faire seule et je savais qu’elle s’y serait fermement opposée si je lui avais dit.
-J’avais simplement envie de voir comment les travaux avançaient ailleurs que chez nous ; mentis-je.
-Iori ; déclara-t-elle en me regardant avec ses yeux amusés. Tu crois vraiment que je vais gober ça ?
Je serrai les dents. Evidemment, elle me connaissait si bien qu’elle pouvait facilement détecter quand je lui mentais…Mais je ne pouvais vraiment pas lui parler de ma mère et d’Hélios…
-Je voulais simplement parler à Miyako, cela fait longtemps que je ne lui ai pas fait de rapport de la situation.
Laura soupira.
-On ne te changera pas on dirait, toujours aussi formaliste…Mais bon, puisque c’est ainsi, si tu me faisais un petit rapport à moi aussi ? Comment va ton père depuis le temps ?
Ne voulant pas l’inquiéter, j’embellis légèrement la situation, prétendant que les choses se remettaient lentement et nous passâmes la soirée à parler d’anecdotes en tout genre sur l’avancement des travaux, le projet de mémorial et ce genre de banalités.
Aussi loin que je pouvais remonter dans mes souvenirs, c’était la première fois que je pouvais discuter de choses aussi communes sans être constamment sur mes gardes ou sans évoquer un quelconque malheur au milieu des bonnes nouvelles.
Nous parlâmes ainsi jusqu’à tard dans la nuit, ne voyant même pas l’heure avancer et vers deux heures, nous finîmes par remonter dans nos chambres.
Dans mon lit, je réfléchis enfin au lendemain. Depuis mon arrivée chez Laura, je n’avais pas eu le temps de penser à mon plan tellement j’étais heureuse de la revoir, mais maintenant que j’étais à nouveau seule, mes préoccupations me revinrent.
Je fus soudain saisie d’une angoisse incontrôlable : et si Hélios ne me disait rien ? S’il refusait de me parler à moi, celle qui avait tué sa fille adoptive ? Pourquoi aurais-je fait ce voyage s’il faisait ça ?
Non, je ne devais pas y penser, et s’il refusait de parler, je le forcerai, je ne repartirai pas sans avoir obtenu les réponses à mes questions.
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Le lendemain, je me levai aux aurores. Miyako avait bien accepté de me voir, mais seulement très tôt dans la journée, avant neuf heures pour être exacte. Ainsi, après avoir salué rapidement Laura qui malheureusement, ne pouvait pas m’accompagner, je me rendis au palais présidentiel.
Lorsque je passai la porte principale, la sentinelle qui gardait l’entrée se mit immédiatement au garde-à-vous en me voyant puis des dizaines d’huissiers vinrent m’escorter mais je les renvoyai aussitôt à leur poste.
J’arrivai dans le hall d’entrée et je pus enfin constater que, malgré ses allures flamboyantes à l’extérieur, l’Elysée avait subi le même sort que tous les bâtiments de la capitale. Au sol gisait les restés carbonisés d’un ancien luxueux tapis de velours rouge à carreaux dorés. Le plafond était si fissuré que je me demandais comment il ne s’était pas encore effondré sous son propre poids. Partout, on pouvait remarquer l’absence de décorations qui gisaient désormais à terre, brisées en mille morceaux. J’étais même incapable de discerner ce qu’elle avait pu représenter par le passé. Les lustres de cristal avaient subi le même sort, ainsi que les hautes colonnes de marbre blanc, s’étant enfoncés dans le sol en s’écrasant. Quant aux fenêtres, il ne restait d’elle que les cadres des vitres, et quelques bouts de tissu qui avait certainement dû être de magnifiques rideaux.
Miyako arriva quelques minutes après moi accompagnée des mêmes hommes que la dernière fois, sa garde personnelle que l’on appelait pendant la guerre les UWS, United we stand. Elle semblait épuisée comme d’habitude. Par réflexe, je me mis une fois de plus au garde-à-vous, ce qui la fit sourire légèrement.
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-Iori, je suis contente de te voir. Tu sais que tu m’as fait peur lorsque tu m’as envoyé ce message, j’ai cru qu’il t’était arrivé malheur, mais apparemment, ce n’est pas le cas.
-Présidente Hikari, je suis désolée de ne pas vous avoir prévenue plus tôt, mais j’ai une requête à vous faire ; déclarai-je avec tout le sérieux du monde. Cela concerne ma mère.
-Ta…mère ? S’étonna-t-elle.
-Je suis certaine que vous voyez de quoi je veux vous parler, présidente ; continuai-je d’une voix grave. Après tout, vous avez donné vous-même le registre à Hiroki.
-Le…registre ?
La présidente écarquilla les yeux de stupeur lorsqu’elle comprit de quoi je voulais parler et elle blêmit.
-Vous devez savoir de quoi je parle, et vous devez donc deviner facilement quelle est ma requête puisque seule vous, savez où il se cache actuellement.
-Attends Iori, ta requête, c’est…
-Je veux rencontrer le père adoptif de ma mère, je veux connaitre leur relation, pourquoi ils étaient liés et quel est le rôle de mon père là-dedans, je veux que vous me conduisiez à Hélios.