Chapitre 192 : Epilogue (1) : Les héros de la guerre
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21 ans plus tard…
« Zahlia ramène ton cul, j’ai besoin de toi avec un des gamins.
– Wesh ma poule t’as cru j’étais ta bonasse ou quoi ? C’est ton taf ça, pas le mien tavu. »
Des années s’étaient écoulées depuis ce que l’on appelait aujourd’hui le Despair Requiem. La catastrophe n’avait pas épargné grand monde à l’époque. Elle avait emporté des milliers de vie en l’espace de quelques semaines, et avait plongé notre région dans la pénombre et le chaos. Moi, j’étais une enfant de cette guerre. J’avais été conçue avant, et je fus mise au monde pendant. Zahlia Leocaser était mon nom. Ma simple existence représentait des tas de choses : la résistance de l’espoir, le courage de mon père, l’incroyable sex-appeal de ma mère, sans oublier son intelligence, sa beauté, sa force, sa détermination… En gros, cette version n’était que de la merde. Forcément, elle venait de ma mère.
En vrai j’étais juste née au mauvais endroit, au mauvais moment. Parce que mes vieux ils avaient rien de mieux à faire que préparer un conflit en baisant, donc j’étais née en plein milieu, genre pile au moment où y’avait aucune maternité vu que tout était en ruines t’as vu. Alors on peut dire que j’ai vécu la grande guerre contre Zetsubô, celle qui réveille des souvenirs de terreur et qui fait grincer des dents quand on la mentionne.
Tout le monde avait été témoin de l’affrontement contre Zetsubô, jusqu’à ce qu’il fasse exploser les caméras dans la foulée. Le résultat de ce conflit mondial n’avait été connu que lorsque Ren Kurenai, leader de la fondation du futur, fit savoir au monde entier qu’il était mort. Le résultat ne se fit pas attendre, puisque l’ensemble des organisations de paix et de sécurité fêtèrent la victoire de l’espoir dès qu’elle fut annoncée.
On décréta un jour férié pour l’occasion. Ainsi, le 25 octobre était un jour de commémoration, et chaque année, nous en étions les invités d’honneur.
« Bon tu bouges ton cul ou ça se passe comment !? Me hurla ma mère déjà à bout de nerfs à 7h30.
– Eh oh, protestai-je. Déjà je te signale que je suis prête et toi pas, ensuite, si t’es pas contente, je peux très bien partir toute seule. C’est pas parce que t’es en froid avec Ether que je dois être ton bouc émissaire derrière lequel te cacher ma poule. »
Car oui, ma mère était en conflits avec Ether. A vrai dire, elle était en conflits avec tout le monde. Lors de la première commémoration, elle était allée cracher sur le cercueil de mon paternel, parce qu’apparemment il lui avait fait une crasse pendant la guerre, et elle le lui avait jamais pardonné. A chaque commémoration, Violet Leblanc guettait donc les agissements de Jessica Leocaser, afin qu’elle ne profane pas de nouveau sa tombe.
Ma mère était secrète lorsque l’on parlait de cette guerre. Elle me sortait sa version pourrie pour dévier la conversation, mais je sentais au fond de moi que quelque chose s’était cassé en elle. Outre le fait qu’elle avait vu sa baraque cramer pour la quatrième fois dans sa vie. J’essayais de comprendre, de savoir des choses que je ne pouvais connaître que de sa bouche, mais il n’en était rien. Il m’était impossible de trouver ce que cachait vraiment Jessica Leocaser en elle.
Elle semblait avoir guéri son malaise en devenant éducatrice. Depuis le drame, elle occupait cette position. Elle avait recueilli tous les mouflets ayant perdu leurs parents, pour leur donner un semblant de bases. En vrai, encore aujourd’hui je pense qu’il aurait mieux valu les laisser à la rue quand on voit ce qu’ils sont devenus en ayant son éducation. Ce n’était plus qu’un ramassis de branleurs, et comble du comble, j’étais la leader du groupe. Le pire dans l’histoire, c’est que l’actuel maire, Ronan Sawyer, s’obstinait à donner des gosses à garder à ma daronne. Du coup on devait s’occuper de cinq marmots abandonnés par leurs parents. Ma mère les avait nommés Ugo, Kosta, Jérôme, Alain, et Adam, et les appelait souvent « le gang des hohos ». Grâce à son intervention brillante, ce fut d’ailleurs le premier son qu’ils sortirent de leur bouche.
Mais je sentais que cela réparait quelque chose de cassé en elle. Alors quand je la voyais sortir comme aujourd’hui, avec un marmot devant, l’autre derrière, et les trois suivants dans une triple poussette, je ne pouvais m’empêcher de ricaner à son nez, avant d’au moins la soulager de celui qui était dans son dos.
Nous sortîmes de notre maison. J’y étais restée depuis ma naissance, car elle avait été reconstruite pour nous. Sagamihara avait été dévastée, mais l’ensemble de la ville s’y était mise pour la restaurer. Ether et la fondation du futur s’étaient alliés dans une récolte de fonds et un déploiement de main d’oeuvre suffisamment élevé pour remettre sur pieds tous les édifices les plus important, ainsi que pour construire un nouveau quartier habitable. Nous habitions donc dans cette résidence de luxe octroyée par notre statut de famille ayant sauvé le monde du chaos, même si ma mère s’en foutait royalement de ce titre. Elle avait accepté cette récompense uniquement pour honorer la mémoire de mon oncle qu’elle estimait énormément. Même pas celle de mon père. Quand j’abordais le sujet, elle l’esquivait, en disant que de toute façon, elle n’allait jamais pouvoir le pardonner. Tout ce que je savais de sa part, c’était qu’il s’appelait Reisuke, et qu’il était un gland. C’était tout de même un peu court pour me faire une idée du bonhomme, mais je ne voulais pas remuer des choses douloureuses pour ma mère, donc je ne cherchais pas à aller plus loin.
Je sortis, accompagnée par ma daronne et son gang des hohos. A peine sur le pallier, je frappai à la porte d’à côté. Quelques secondes passèrent : pas de réponse. Alors naturellement, je tambourinai en hurlant pendant quelques minutes, sans succès. Je dus retirer les tétines de la bouche des hohos pour qu’ils hurlent et qu’enfin la porte daigne s’ouvrir.
« Ne peux-tu pas attendre une minute lorsque tu sonnes à une porte !? S’écria la voix de l’individu m’ayant ouvert, comme prêt à me trucider.
– Ravie de te revoir moi aussi, Hirosuke. Raillai-je, sachant pertinemment que j’allais l’agacer.
– Ne m’appelle pas par ce nom. Grogna-t-il. Je ne suis pas un monument vivant à la gloire de mon père et mon oncle. Appelle moi Namatame tu veux. Et sinon, tu me veux quoi ?
– Ta mère est prête ? Parce que nous on est sur le point de sa casser tavu. C’est la corvée annuelle, le discours, les souvenirs, les cartes postales tout ça tavu. »
Il soupira, avant de se tourner derrière la porte. Je le suivis, en portant un mouflet accroché à moi, jusqu’à arriver dans la forêt de Hakaze. Car ouais, ce qui semblait être une clôture normale cachait en fait un long couloir qui menait à un coin vraiment sordide. Hirosuke et sa mère squattaient ça en mode Tarzan alors qu’ils pouvaient se payer une vie de richards pleins aux as. Tu parles d’une stupidité.
« Maman, entama Hirosuke agacé, pourrais-tu arrêter l’espace de trente secondes ta foutue expérience pour qu’on puisse faire semblant d’être tristes sur la tombe de papa !?
– Attends juste cinq minutes gamin. J’sens que c’est la bonne cette fois. Je te parie tout ce que tu veux que ça va être l’invention du siècle.
– L’invention du siècle, c’était la machine à remonter dans le temps de grand-père. Soupira son fils. Ca fait 15 ans que je t’apprends sans succès à allumer le grille pain.
– Ne parle pas comme ça à ta mère ! Railla la voix d’un vieux croûton qui nous rejoint. Hakaze, je suis certain que ton fils fait partie du CERN, pour toujours espérer notre échec.
– Je suis d’accord. Sourit la mère. Tiens Akame, attrape-moi ce bout d’uranium s’il te plaît. »
Je déglutis. Le vieux tremblait tellement qu’il semblait comme secouer frénétiquement ce truc qu’il tenait dans les mains. Je voulus l’aider, mais il m’assura que ce n’était pas nécessaire.
« Ce n’est pas comme si j’allais faire exploser Izrath une seconde fois ! Rit-il. Rien de grave ne se passera. »
Il lança un profond malaise. S’il y avait bien un sujet sensible avec Hakaze, c’était Izrath. La mort de Hiroki, elle était passée au-dessus. Elle s’était fait une raison en reportant tout son amour sur son fils. La destruction d’Izrath par contre, était quelque chose d’inconcevable pour elle. Il était impossible d’aborder ce sujet, tout comme parler de Reisuke à ma mère était voué à l’échec.
Mais cela ne nous gênait pas, Hirosuke et moi. Ce gland et moi on était nés le même jour, et on avait grandi ensemble, du coup on se comprenait mieux que quiconque. Je le trouvais plutôt beau gosse, et il avait tendance à bien prendre la lumière quand il était à poil. Sa mère m’avait assuré que c’était de père en fils. Mais bon, c’était mon cousin, donc je ne pouvais pas me le foutre sous la dent. En plus, on avait un grand-frère en commun. Bon, c’était pas le mec le plus intelligent du monde, le Kentaro. Sérieusement, ce type ne savait que parler de cul et ressasser à quel point ma daronne avait servi à rien pendant la guerre. Je plaignais sa femme, cette Chitose. La pauvre était bien trop normale pour lui.
Mon gland réussit finalement à tirer sa mère de son expérience pour la forcer à porter une tenue respectable. Au fond, c’était la même pour tout le monde : se rendre sur une statue moche des descendants de Zetsubô ne ressemblait à rien d’autre qu’une corvée d’hypocrisie de laquelle on était obligés de s’acquitter.
Parce que oui, mon daron et son frère étaient des héros. Zetsubô avait détruit les caméras pendant son affrontement, mais Ren Kurenai, la leader de la fondation du futur, avait été formelle à sa sortie de Lithemba. Reisuke et Hiroki étaient deux héros ayant triomphé de Zetsubô au prix de leur vie. Grâce à leur sacrifice, le futur était désormais possible pour tous, et il fallait honorer leur mémoire peu importe l’investissement à y mettre. Sa sœur, Erika Kurenai, avait d’ailleurs sa statue en Australie elle aussi. C’était la leader de la fondation du futur elle-même qui s’en occupait, puisque les parents des deux jeunes filles à l’époque avaient été retrouvés tués d’une balle dans la tête peu après la fin de la guerre.
L’Australie avait trouvé un roi, en la personne d’Eikichi Azuma. Il était apparemment celui qui était destiné au trône avec Erika, et finalement, pour honorer sa mémoire, il avait décidé de ne pas prendre de reine. Leurs affaires se portaient plutôt bien, et ils nous aidaient parfois quand on galérait à telle ou telle chose.
Nous arrivâmes sur la place dite « place de l’espoir » située en plein cœur de notre ville. Déjà les personnalités influentes s’étaient rassemblées en cercle autour de la stèle représentant mon père et mon oncle, tandis que nous, les enfants de la nouvelle génération des Yamadas, nous étions chargés de renouveler les fleurs sur leur sépulture. Mais avant cela, il fallait que l’on salue tous ceux ayant fait le déplacement, avec les honneurs. Je m’avançai la première vers ceux qui nous attendaient, en ligne.
« Yo toi, ça gaze ? Tranquille ? Tu te fais pas trop chier ? Serious c’est long hein ?
– Zahlia, tu parles au président russe. Me sermonna Hirosuke en me donnant un coup de coude. »
Je passai mon chemin sans m’excuser. Lorsque mon cousin s’aperçut que ma mère, qui était derrière nous, salua le président de la même façon avec ses quatre mouflets qui braillaient, il posa sa main contre son visage en signe de dépit. Je ricanai. Les Leocaser étaient dans l’anticonformisme depuis Yiskha, ça n’allait pas changer de sitôt. Tous les invités affichaient des airs mielleux, ou des sourires d’hypocrites, tous, sauf une. La fille de la présidente française. Ma petite rouquine préférée. Oh je la kiffais cette fille.
« Salut ma chérie ! M’exclamai-je. T’es venue voir le bal des hypocrites ?
– Ne m’en parle pas. Soupira-t-elle. C’est la même chose quand on parle du conflit des démons en France. Je suis venue te soutenir un peu histoire que tu ne te sentes pas seule.
– Viens on se fait une virée avec les lascars après qu’on a fini de jouer les potiches ici, j’suis certaine tu kifferais voir ma nouvelle bécane.
– Avec plaisir. Sourit la rousse. »
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Ca c’était ma rouquine à moi. Je la kiffais parce qu’elle était franche et que c’était pas donné à tout le monde. Et puis nos mères ne pouvaient pas se saquer. Elles se battaient dès qu’elles se voyaient, et c’était toujours sujet à des paris sur qui entre la présidente de la république et l’éducatrice de mes couilles allait frapper le plus fort. Hirosuke n’appréciait pas spécialement Akane, il était bien trop occupé ailleurs.
« Bonjour Iori. Lui dit-il, le sourire aux lèvres – elle était d’ailleurs la seule qui y avait droit. – Merci d’avoir fait le déplacement pour présenter tes hommages, une fois de plus.
– C’est naturel. Lui répondit-elle, toute aussi ouverte. Il est important que nous nous rappelons le pourquoi nous en sommes ici. Tous les sacrifices pour que l’on puisse vivre dans le présent qui nous est donné. C’est admirable de ta part, de ne jamais défaillir à honorer la mémoire des anciens.
– Cela serait comme un crime envers les âmes tombées au combat. Lui assura mon cousin qui crachait sur la cérémonie dix minutes plus tôt. »
Mais je n’eus pas le temps de m’attarder sur son crush. Ma mère avait déjà rencontré celle d’Akane, et il fallait que je lui rappelle qu’elle poussait quatre gosses avant qu’elle ne l’en lui balance un à la figure.
« Pourquoi tu viens ici grogniasse…grogna ma mère suffisamment bas pour que personne ne l’entende, en serrant la main de la présidente.
– Tu as de la chance que je suis en voyage officiel. Murmura celle d’Akane, en affichant un sourire diplomatique. C’est la seule chose qui me retient de te sauter dessus.
– Tu te calmes. Les interrompit le petit Jérôme, leur tirant à toutes les deux un soupir d’attendrissement.
– Hoho, c’est que ce petit garçon est mignon. Enchérit joyeusement l’un des gardes de la présidente. »
En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, chacun des gardes de la présidente venait d’adopter un des enfants que gardait ma mère. Je fus stupéfaite, mais moins que l’éducatrice et la présidente, qui, considérant les hommes en costard avec les enfants, furent atterrées par la tournure des évènements.
« Non mais j’hallucine. Soupira la mère d’Akane. Vous ne connaissez pas le code de conduite de la garde présidentielle ?
– Si je puis me permettre, s’avança le chef du groupe, il n’est nullement mentionné l’interdiction d’adopter un enfant durant nos missions.
– Je n’en peux plus. Vous êtes tous virés !
– Encore !? Protesta le plus jeune. C’est la quatorzième fois ce mois-ci. »
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La présidente soupira. Je la laissai, avant de présenter mes hommages à une autre femme. Alice Leblanc, la fille de Violet et de Soichiro – oui oui, de Soichiro, ce vieux pervers – était l’actuelle leader de la fédération de sa mère qui à l’époque avait aidé à tout reconstruire. Je me prosternai devant elle. Je n’aimais pas ravaler ma fierté, mais je devais tout à Violet Leblanc. Si j’avais pu vivre une enfance normale, c’était grâce à son intervention. Sans ses dons, sa force, et son courage, rien n’aurait pu redevenir comme cela était avant.
« Bien. Déclara Alice, solennelle. Mesdames, messieurs, merci de tous vous êtres rassemblés autour de ce vestige de la guerre ayant touché Sagamihara, 21 ans plus tôt. Cela me touche de constater que, deux décennies après cette catastrophe, sa cause, et ses conséquences, restent une partie de votre mémoire, de notre mémoire. Par ce rituel que l’on célèbre chaque 25 octobre, je tiens à rappeler à tous combien la vie est précieuse. Chacun de nous possède au plus profond son jardin secret, ses ambitions, ses désirs inavouables, mais aucun projet, aucune motivation, ne devrait avoir pour coût la vie d’autrui.
Rappelez-vous que qui que vous soyez, quoi que vous ayez sur le coeur, vous n’êtes pas seuls. Votre famille, vos amis, sont là pour vous. Parlez, extériorisez, et trouvez des solutions à vos problèmes. Et si personne n’est une oreille, la fédération Ether se chargera de vous aider à traverser les périodes sombres de votre vie. »
Son discours…était hypocrite. Ce qu’elle disait n’avait aucun sens, et c’était uniquement par respect pour sa mère que je la laissais déblatérer de telles conneries. Qui était-elle pour prétendre comprendre ce qui nous animait ? Elle n’était qu’une nana ayant hérité de milliards, avec un équilibre familial stable, et elle osait venir nous donner des leçons à nous, les enfants de la guerre.
Elle ne dupait personne. Nous, héritiers de la famille Yamada, alignés en avant devant la stèle à l’effigie de nos pères, nous la regardions tous avec des yeux qui ne mentaient pas sur notre réception. Elle ne le notifia pas. Elle avait révisé son discours pour qu’il soit parfait, et il allait l’être.
« Je vais maintenant laisser la place aux fils et filles de Reisuke et Hiroki, les héros de cette ville. »
Elle me tendit le micro. Alors je me tournai vers la foule, et je pris la parole.
« Quand je vous vois tous rassemblés autour de ce vieux caillou, je comprends pas vraiment ce qui vous motive. Mon père, et mon oncle, des héros ? Mon cul ouais ! Vous n’avez rien compris. Hiroki et Reisuke ne sont pas des héros, et s’ils le sont, il n’y a pas qu’eux qui le sont. Pourquoi nous mettre sur un piédestal, simplement parce que l’on a perdu nos parents, alors que des tas de péons ont vécu la guerre bien plus que nous, ont affronté des ennemis, et ont perdu leurs vieux aussi ? C’est tout simplement une manière de vous donner bonne conscience. Vous pensez honorer le passé en astiquant la bite à quelques fantômes, mais vous vous foutez bien de ce qu’il est advenu de deux qui sont sortis vivants du conflit, ou qui ont perdu des proches dans cette foutue guerre. Cette commémoration n’est qu’une exhibition médiatique, personne ne considère les choses qui ont vraiment de l’importance. »
Je vis Akane s’avancer vers moi pour me soutenir, mais sa mère l’arrêta en déployant son bras. J’pouvais comprendre. Je venais de créer un incident médiatique qui allait sûrement rester dans les annales. Je restai droite, rigide, face à cette foule, face à ma mère qui me dévisageait d’un air fière, et je fus rejointe par Hirosuke. Ce dernier se saisit de ma main, murmurant à Iori qu’il était désolé d’un air mal à l’aise. Mais il n’était pas le seul à m’avoir rejointe, Kentaro vint me donner la main, montrant à l’écran que les trois descendants connus désapprouvaient cette hypocrisie.
Ce fut la pire cérémonie de commémoration de l’histoire de l’humanité, et on nous assura que cela allait être la dernière. L’objectif était donc atteint. Outre la rage du président russe qui nous promit des représailles, nous n’avions de toute façon pas outragé qui que ce soit en disant la vérité.
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La véritable commémoration pouvait commencer. Une réminiscence qui n’avait rien d’une fête, bien au contraire. Hirosuke et moi partîmes de la place de l’espoir, laissant derrière nous ceux qui s’y étaient rassemblés, afin de nous diriger quelques avenues plus loin, à un kilomètre de là, jusqu’à nous rendre à la clinique Séradiel, là où se trouvait une toute autre facette de la fin de la guerre.
« Ah, vous êtes là les jeunes. Nous interrompit une voix grave et saccadée remplie de compassion. Vous êtes adorables. »
Nous nous retournâmes. L’inspecteur Masamune Nishijima était à la retraite depuis des années maintenant, mais nous étions certain de le trouver dans cet hôpital. Pourtant, le septuagénaire n’était ni malade, ni dépendant, au contraire. Il s’était désigné pour nous porter assistance en restant aux côtés de quelqu’un de particulièrement spécial à nos yeux.
Nous entrâmes dans la chambre blanche et froide, fidèle à la réputation des hôpitaux. Sur cette couche, se trouvait une existence scrutant l’extérieur d’un regard vide.
« Bonjour, tante Laïla. Lui lançai-je avec affection, sans vraiment espérer de réponse. »
Et effectivement, je n’en reçus pas. Ma tante était une rescapée de l’affrontement contre Zetsubô. Elle avait survécu à la même bataille dans laquelle avaient péri ses frères, non pas sans échapper de justesse à la mort. Après une opération chirurgicale, elle avait repris connaissance, mais elle était déjà brisée de l’intérieur. Elle ne trouva plus le sommeil : dès qu’elle fermait l’oeil, les souvenirs de mon père, mon oncle, mais aussi de Kôsei, le fils de Masamune, revenaient la hanter sans lui laisser une seconde de répit. Elle se réveillait toujours dans des crises de spasmes et de convulsions qui avaient plusieurs fois manqué de lui coûter la vie tant elles étaient violentes. Finalement, avec les années, elle s’était assagie, mais elle devint muette. Je n’avais jamais entendu le son de sa voix, alors qu’elle était la seule famille qu’il me restait de mon côté paternel.
Alors tous les jours, je venais la voir, en espérant qu’elle trouve la force, le courage, ou la détermination de s’adresser à moi. J’attendais ses mots, et je n’étais pas la seule, puisque Hirosuke ne manquait jamais l’occasion de rester à ses côtés. Nous étions tous les deux en quête de réponses, en quête d’espoir. L’espoir de conjurer ce mauvais sort et d’enfin guérir ma tante de ses tourments.
« Merci de veiller sur elle à notre place. Déclara Hirosuke en se prosternant devant Masamune. Si nous pouvons vivre en confiance, c’est bien parce que vous êtres présent à ses côtés.
– C’est naturel. Sourit l’ancien inspecteur. Après-tout, elle est la mère de ma première petite fille, et celle pour qui Kôsei s’est battu jusqu’au bout. »
Je ne ressentais aucune animosité en cet homme, alors que son fils avait trouvé la mort prématurément en restant aux côtés de ma tante. Non, Masamune était fier de Kôsei. Il disait qu’avoir élevé un fils ayant été jusqu’au bout pour protéger sa vision de la justice était tout ce dont un père pouvait rêver, et j’avais l’impression qu’il conjurait le mauvais sort en continuant ce que son fils aurait voulu accomplir.
Nous entendîmes des bruits de pas provenant du fond du couloir. Des claquements de talons que je ne connaissais que trop bien. En effet, lorsque je me retournai, je ne fus pas du tout surprise de l’identité de cette personne.
« Dis donc la romano, souris-je défiante, tu aurais pu venir nous aider à cette commémoration de merde. J’suis pas celle qui est faite pour les discours, c’est ton boulot ça.
– Tu t’en es très bien sortie. Sourit la jeune femme. J’ai été prise aux tripes en regardant le direct. »
Elle me serra dans ses bras, me laissant sentir son parfum de gitane qui puait la cocotte et me restait toujours dans les narines. Je réprimai une expression de dégoût, mais je passai au-dessus. La famille était la famille.
Car oui, Yasmine et moi étions cousines. L’espèce de bohémienne aux yeux verts perçants et à la longue chevelure noire était la fille de ma tante, et de Kôsei Nishijima. Ils lui avaient donné le nom de son père à titre posthume d’ailleurs, puisque Laïla, dans son seul instant de lucidité en 21 ans, avait refusé de signer une reconnaissance de père inconnu. Yasmine embrassa également Hirosuke, qui lui, n’avait rien contre cette eau de Cologne à dégueuler ses tripes. Elle se rendit ensuite dans la chambre de sa mère, nous laissant comme des cons dans le couloir.
« Ca doit pas être facile tous les jours de la supporter, pas vrai Izuru ? »
Le jeune homme aux cheveux marron et au regard gris perçant se contenta de hausser les épaules. Ce type était toujours avec elle, et ils semblaient s’entendre, mais question communication, il était impossible. Encore plus muet que ne l’était Hirosuke. Je soupirai. Moi et mon gars sortîmes de l’hôpital.
« Eh bien, on devrait aller au boulot je pense.
– Tu vas te prendre un savon quand tu arriveras. Souligna le monument vivant, sachant pertinemment que j’allais le payercher. »
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Mais je ne fis pas attention à ses paroles, puisque je savais qu’il prendrait ma défense si vraiment cela devenait crade. A la place, je me rendis jusqu’à la falaise Sekai, là où se trouvait désormais une base nautique et aérienne de laquelle partaient bateaux et hélicoptères destinés à un usage privé. La société Sunbird transport été devenue prospère, et elle nous réservait toujours des vols de qualité à nous, les agents de la fondation du futur.
« Bienvenue mes chers agents ! S’exclama le réceptionniste avec entrain. Anatole Porreau au rapport ! »
Ce rouquin aux cheveux désordonnés et au regard bleu pétillant comme l’océan sous les reflets du soleil n’était autre que mon neveu, le fils qu’avaient eu Dahlia Porreau et son petit ami de l’époque, Arata Kashiwagi avant que celui-ci ne décède tragiquement. Ils l’avaient eu très tôt dans leur jeunesse, ce qui expliquait que malgré le fait que Dahlia n’était âgée que de 37 ans, lui en avait déjà 23. Il était plus vieux que moi, alors que sa mère était plus jeune que la mienne. Ce joyeux lascar la protégeait d’ailleurs toujours comme si sa vie en dépendait. Il était le seul homme de sa vie, et il aurait pu donner tout ce qu’il possédait pour lui donner le sourire. Il était d’ailleurs un excellent chanteur : chaque fois qu’il usait de sa voix, ma sœur lui disait qu’il apaisait tous ses maux, alors il s’était entraîné jusqu’à faire carrière dans le domaine. Tout le monde connaissait les tubes d’Anatole.
« Salut mon neveu. Ricanai-je. T’as un hélico pour l’Australie ?
– Attends voir. Il faut que je demande à Maman si le Sunbird X45 est disponible. »
Il se tourna.
« Maman ! Y’a tata qui veut un Sunbird !
– Si tu m’appelles encore tata une seule fois, tu rentres en corbillard, vu ?
– Hoho ! Rit ma frangine en arrivant dans la pièce. Tu es le portrait craché de notre mère Zahlia, tu le sais ? »
J’étreignis ma frangine. C’était bon de la revoir.
« Tu es cependant plus affectueuse lorsqu’il s’agit de famille. Se moqua-t-elle.
– Ta gueule la rousse. Défoule-toi pas sur moi juste parce que t’es débile. »
Elle rit, puis elle m’invita à la suivre. Elle nous désigna l’engin que nous allions prendre. Un oiseau mécanique coloré de rouge, de jaune, et de violet que nous n’utilisions que pour les vols de client importants ou de la famille.
« Bon, soupira Dahlia. Eh bien montez, je vais vous montrer ce que c’est qu’une pilote ayant du skill. »
En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, nous arrivâmes dans les quartiers de la fondation du futur. Leader Ren était déjà revenue dans les quartiers de l’organisation, il suffisait de voir son hélicoptère dans le hangar pour le comprendre. Je soupirai. J’allais encore me prendre toute la haine du monde.
« Hello, miss Leocaser et mister Namatame. S’exclama une voix faite de légèreté qui me cassait les couilles en permanence.
– C’est ça c’est ça, bonjour Akemi. Soupirai-je.
– Pour toi c’est capitaine. Railla la femme. Je suis la leader de la troisième branche de la fondation du futur, marvellous isn’t it ?
– Je t’appellerai par ton titre le jour où tu nous appelleras par les nôtres.
– Ow ! J’oubliais que j’avais affaire à Hirosuke Namatame capitaine de la treizième, et Zahlia Leocaser, de la quatorzième. Eh bien, roulez jeunesse ! La réunion nous attend ! Let’s go, folks ! »
Elle n’en avait pas l’air, mais elle aussi avait été touchée par la catastrophe. Son frère n’était autre que Kôsei, et sa disparition avait fait souffrir des tas de personnes, dont Akemi. Elle s’était engagée dans la fondation du futur trois ans avant sa disparition, et elle semblait regretter ce choix, mais il était impossible pour elle d’y renoncer puisque c’était tout ce qu’il lui restait pour se raccrocher à la vie.
« Eh bien, s’exclama la voix grave du capitaine de la seconde branche, Kenny Delacour. Voici celle qui a fait trembler les médias avec son incident diplomatique ! Salut les jeunes !
– Ce n’était pas vraiment professionnel, ajouta Marc Seiu, le capitaine de la sixième branche. Quand on est membre d’une organisation gouvernementale, on fait profil bas, Leocaser.
– Vos gueules les vieux. Pensez à recruter plus de sang neuf, vous sentez le formol à cent mètres. »
Rachel, ou plutôt Brittany la leader de la première branche, éclata de rire face à ma réponse. Elle était toujours aux aguets de ce que je claquais aux autres et se régalait de chacune de mes réparties. Lysandra de la onzième lui donna un coup de coude qui la fit se reprendre.
Je m’installai autour de la grande table qui servait d’espace de discussion pour nos opérations, suivie par Hirosuke qui était toujours aussi sociable. Je scrutai les sièges. Tout le monde était présent, sauf Ren. Même le roi actuel d’Australie : Eikichi de la huitième, était à nos côtés. En fait non, il manquait quelqu’un. Le leader de la dizième était absent.
Pedro Toppolino, leader de la douzième, se leva. Le rouquin, l’air sérieux, cachait son caractère de fragile quand il était au boulot en se donnant des airs de mâle alpha. En vrai, derrière son expression rigide, il se réjouissait sûrement encore d’avoir fêté ses 15 ans d’union avec Ren Kurenai.
« Bien. Entama-t-il, confiant. Nous sommes tous réunis, enfin presque, mais le leader de la dizième ne viendra sûrement pas de sitôt. »
Il appela Ren, comme à chaque réunion. Elle attendait que nous soyons tous réunis avant de daigner se montrer. Cela faisait toujours soupirer l’ensemble de l’équipe, en particulier Jordan Sankels et sa fille Rita, les capitaines respectifs de la branche 5 et 7.
Elle fit une entrée théâtrale qui laissa tout le monde de marbre, dont Suzuha Delacour, capitaine de la neuvième branche et accessoirement, la femme de Kenny.
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« Bonjour à tous. Déclara-t-elle avec un charisme de leader. Zahlia tu as de la chance que l’ordre du jour est urgent, autrement je me serais bien entretenue avec toi à propos de ta conduite.
– En vrai ça t’arrange parce que j’te fais peur ma poule. Raillai-je en essayant de masquer qu’elle me foutait les pétoches. »
Elle me lança un regard glacial que je tentai de soutenir tant bien que mal. Ren était une personne qui faisait flipper. Elle n’en avait pas l’air, mais j’étais certaine que quelque chose en elle était brisé au point de pouvoir faire d’elle une meurtrière pour un oui ou un non. J’avais plusieurs fois remis en cause le fait qu’on laisse une personne au regard si instable gérer une fondation comme celle du futur, mais aucun de ces glands ne m’écoutait.
Elle alluma l’écran géant qui montra quelques profils de crapules type, avant de reprendre la parole.
« Ces gens sont des sous-fifres. Ils sont les larbins de Yakuzas qui sont eux-mêmes au service d’une organisation supérieure pratiquant entre autres le terrorisme. Ils ont déjà organisé quatre attentats qu’ils ont tous revendiqué. Deux au Japon, deux en Australie. Et ils se sont nommés – »
L’écran sur lequel Ren retransmettait se brouilla, avant de virer au noir. Deux secondes plus tard, une image revint, nous montrant le portrait d’un jeune homme dont l’identité ne faisait aucun doute pour tous. Ces cheveux marron ordonnés en mèches pointues lui tombant sur le visage, ce regard vert expressif, cette musculature de sportif…Tout le monde connaissait le portrait de cet homme, qui pourtant n’avait pas pris une ride après deux décennies d’absence.
« Nous nous sommes nommés « Purple Revolution » déclara l’individu ayant usurpé l’identité de mon père. Et nous sommes revenus pour continuer l’oeuvre de Zetsubô. Je suis Reisuke Yamada, leader de ce mouvement, et je vous promets à tous d’amener le chaos et le désespoir sur ce monde. »
Ce fut le premier acte d’une nouvelle guerre à laquelle nous allions tous prendre part une fois de plus, sachant très bien que les conséquences allaient encore être lourdes.
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