Devant nos airs dubitatifs, elle fronça les sourcils.
-Vous ne nous pensez pas à la hauteur c’est ça ? Nous questionna-t-elle sèchement.
-Si, si, évidemment ; m’empressai-je de répondre. Seulement, j’étais un peu surprise que vous nous proposiez ça alors qu’Hélios se balade…
-Ca me rassure dans ce cas ! Répondit-elle en retrouvant son sourire.
-Enfin bref, si vous ne voulez pas de notre aide, dites-le nous tout de suite, je gèle par ici, on est le quatre décembre je vous signale ; grommela son frère en remontant la fermeture éclair de son pull.
-Je vous propose d’aller au parc et une fois là-bas, je vous expliquerai tout ! Lança Serena enjouée.
Mis à part Ambre et Maya qui ne voyaient pas l’intérêt d’une séance supplémentaire, nous acquiesçâmes et nous suivîmes tous les trois les jumeaux. Lorsque je vis la direction qu’ils prirent, je retins un frisson. Ils se dirigeaient tout droit vers le parc où je jouais auparavant avec Aymeric…Leur choix était tout à fait logique et cohérent puisqu’il s’agissait du parc le plus proche, mais depuis le départ d’Aymeric, je n’y étais plus jamais retourné et à vrai dire, je n’y arrivai plus…
Peut-être avait-je peur de me perdre dans mes souvenirs, ou au contraire, d’hair encore plus cet imbécile en repensant à tous ces moments où il me mentait, mais cela n’avait pas d’importance, le fait est que je n’y allais plus. Cependant, cette fois-ci, j’étais bien obligée…
Lorsque nous arrivâmes devant les grilles du parc, elles me parurent soudain minuscules, elles que j’avais du mal à enjamber dans le temps…Lorsque nous fûmes à l’intérieur, Je m’arrêtai un instant pour contempler ce décor si familier et en même temps si étranger. Je reconnaissais ces arbres, ces fleurs, ces bancs mais je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils avaient de particulier. Ils étaient comme n’importe quel arbre, n’importe quelle fleur, n’importe quel banc. Et pourtant, j’étais nostalgique en les revoyant…
Je tournai la tête vers le bac à sable. Notre château qui nous servait de base secrète n’était plus là. A sa place trônait une nouvelle attraction, flambant neuve : un vaisseau pirate et je ressentis un pincement au cœur. Il ne restait donc vraiment rien de notre amitié passée, pas même ici, au sanctuaire de nos souvenirs communs…
-Tout va bien ? Tu t’es fait mal ? Me demanda soudain June, l’air affolée.
-Non, tout va bien…
-Alors pourquoi pleures-tu si tout va bien ? Reprit Drago dubitatif.
Pleurer ? Je remarquai alors que quelques larmes mouillaient mon visage…Non, c’était un torrent inarrêtable. J’avais beau essayer de stopper mes pleurs en les essuyant avec ma main, mais à chaque fois, de nouveaux surgissaient derrière.
Serena s’arrêta à son tour et retint son frère par la manche puis vint à moi.
-Qu’est-ce qui t’arrive Angéla ?
-Je…je crois que je suis prise de regrets ; avouai-je finalement en essayant de sourire malgré moi.
-Ah, dans ce cas, on est pas sorti d’affaire ; soupira Satoshi en s’asseyant sur un banc. Aller, dis-nous ce que tu as sur le cœur que Serena puise te faire la morale et qu’on rentre chez nous.
-Ne l’écoute pas Angéla, il fait sa mauvaise tête ; me dit Serena en lançant un regard assassin à son frère. Mais il a raison sur un point, ne garde pas tes regrets pour toi, tu ne pourras pas le supporter…
Elle avait prononcé ces mots avec une grande gravité, comme si elle avait justement vécu cela. Je n’en savais pas assez sur elle pour le dire avec certitude, mais elle semblait avoir eu elle aussi un lourd fardeau à porter…Au point où j’en étais, je pouvais bien leur dire après tout.
-Lorsque nous étions petits, Ambre, Maya et moi jouions souvent ici. Mais nous n’étions pas que toutes les trois. Il y avait aussi un garçon, son nom était Aymeric.
Le visage de Drago se figea et il écarquilla les yeux de surprise.
-Attends…ce type que j’ai affronté…c’était ton ami autrefois ? S’exclama-t-il abasourdi.
-Oui, nous étions très proches tous les deux, un peu trop proches même…Au collège, nous sommes finalement sortis ensembles.
Drago se raidit mais se détendit aussitôt en entendant la suite :
-Evidemment, j’ai découvert ce que je n’aurais pas dû : il en aimait une autre. Dès que je l’ai appris, je l’ai rejeté, et depuis, nous ne nous parlions plus…jusqu’à cette année…
Un silence suivit ma déclaration. June était la seule à garder un air serein. Elle connaissait déjà mon histoire, Ambre et Maya la lui avait racontée. Serena ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais ce fut la voix de Satoshi que j’entendis.
-Si j’ai bien compris, ton ex est un imbécile qui non seulement t’a brisé le cœur une fois, mais en plus s’amuse maintenant à te briser une seconde fois en étant sous les ordres de ton pire ennemi, c’est bien ça ?
-Euh…oui, à peu près mais…
-Je vais te raconter une histoire moi aussi dans ce cas, plus précisément notre histoire à tous les deux, notre vie dans le quartier oublié. Nous étions orphelins, nos parents ont disparu mystérieusement lorsque nous étions très jeunes et nous avons du tout faire pour survivre dans la rue, parmi les scélérats, les bandits et les voleurs. Un jour, alors que nous n’avions pas mangé depuis presque une semaine, un homme est venu nous trouver. Je savais très bien que je ne pouvais faire confiance à personne dans cet endroit et pourtant, j’ai accepté son offre. Sais-tu pourquoi ?
-Arrête Satoshi, ne raconte pas ça s’il te plait ! La supplia Serena, gênée.
Il l’ignora et continua son récit :
-Tout simplement parce que j’avais promis de protéger Serena, quoiqu’il m’en coutât.
La jeune fille s’empourpra d’avantage mais il ne lui prêta toujours aucune attention et me regarda droit dans les yeux. C’était la première fois que je croisais réellement son regard. C’était le regard d’un adulte, d’une personne ayant vécu bien plus de chose qu’elle n’aurait dû en vivre, un regard froid et dur dans lequel se lisait également une grande inquiétude, certainement pour sa sœur.
-Je savais que je n’aurais pas dû lui faire confiance, et le futur m’a donné raison. J’ai eu longtemps des regrets quant à mon choix mais j’ai assumé les conséquences, toujours cherchant le meilleur moyen pour protéger ma sœur, jusqu’à ce que je rencontre Hélios.
-Hélios ? Qu’est-ce qu’il vient faire là lui ? Demanda Drago totalement captivé par l’histoire.
-Lorsque je l’ai vu pour la première fois, j’ai su qu’il était différent des gens que nous côtoyions tous les jours. Il avait la même tristesse dans son regard, mais il émanait de lui une certaine joie de vivre. Jusque-là, je ne connaissais que le désespoir, l’avarice et l’égoïsme, mais Hélios nous a donné quelque chose que personne n’avait pu donner avant : il nous a accueillis, sans rien demander en retour. Ce simple geste de nous tendre la main à nous, des misérables, m’a redonné espoir.
-On parle de moi à ce que je vois ? Dit soudain une voix au loin.
Nous nous retournâmes tous vers la source de la voix et nous vîmes un homme sortir des fourrés.
-Hélios ? M’exclamai-je interdite. Je croyais que vous étiez à des lieues d’ici !
-Je t’expliquerai ça un jour. Mais j’aimerai avoir mon mot à dire tout de même quant à ton histoire Satoshi.
-Allez-y, après tout, vous êtes mieux placé que moi pour expliquer ce genre de chose.
-En vérité, j’attendais quand même quelque chose de vous : il me fallait des guides pour ma mission et mon choix s’est porté sur vous comme il aurait pu se porter sur quelqu’un d’autre ; déclara-t-il en haussant les épaules.
-En effet, mais rien ne vous obligeait à nous garder auprès de vous par la suite. Vous auriez pu simplement nous abandonner à notre sort une fois votre mission terminée, comme n’importe qui dans le quartier oublié l’aurait fait, comme les déchets que nous étions pour tout le monde.
-J’imagine que mes vieux réflexes de roi ne m’ont pas totalement quittés ; répondit-il, gêné.
-Quoiqu’il en soit Angéla, ce que je voulais te dire, c’est que moi aussi j’ai eu des regrets, pendant longtemps, des regrets que je ne pouvais partager avec personne, des regrets qui me tourmentaient tellement que je me réveillais la nuit, des regrets qui m’ont souvent acculé au bord de la folie, puis j’ai compris une chose en rencontrant Hélios : le seul moyen d’effacer des regrets est de penser au futur. De toute façon, jamais tu ne pourras changer le passé, mais rien ne t’empêche de faire mieux par la suite. Lorsque nous avons décidé de suivre Hélios, j’ai compris que, même si nous avions souffert par ma faute, j’avais évité quelque chose de pire.
-Mais dans mon cas, je n’ai rien fait, j’ai simplement été trop naïve ! Je n’aurais pas du lui accorder une telle confiance, j’aurais dû…
-Tu aurais dû quoi ? Fermer les yeux ? Tu as peut-être découvert une vérité dure, mais penses-tu que tu aurais été heureuse de vivre éternellement dans le mensonge ?
-Evidemment que non !
-Dans ce cas, que regrettes-tu exactement si tu ne regrettes pas d’avoir découvert ce secret ?
-Je crois…que j’aimais vraiment mes années d’école, lorsqu’il était encore franc avec moi, lorsque nous n’étions que de simples amis, lorsque découvrir qu’il aimait quelqu’un d’autre ne m’aurait pas dérangé…
-Bien, tu as détecté le problème, c’est déjà un bon pas en avant. Mais maintenant, je ne vois qu’une seule solution pour le résoudre.
-Une seule ?
-Oui, il faut que tu lui dises directement !
-Que…quoi ? M’étranglai-je en entendant ça. Que je lui dise ? Ca ne va pas ! Non seulement c’est un serviteur de Gariatron mais en plus un imbécile doublé d’un égoïste !
-Tu n’avanceras jamais tant que tu n’admettras pas cela et tu continueras à regretter cette époque.
Je me mordis la lèvre. Même si cela me coutait vraiment de l’avouer, il avait raison. Je voulais retrouver mon vieil ami, c’est pourquoi, lorsque je l’avais possédé par Gariatron, j’étais entrée dans une colère noire. J’avais encore espoir en lui et il me trahissait une nouvelle fois. Et pourtant, même après ça, je continuai à regretter le temps passé ensemble…Ridicule…C’était une époque révolue qui ne reviendrait jamais. Aymeric était fou à lier pour une raison qui m’était inconnue mais j’avais beau essayer de me convaincre de toutes les manières possibles, je le pensais encore capable de revenir en arrière…
-Tu as peut-être raison, mais je ne me fais pas trop d’illusion. Mon ami est parti il y a bien longtemps, les chances de le ramener sont infimes.
-Tout comme nos chances de survie l’étaient sans l’arrivée d’Hélios ; me dit alors Serena en me mettant le bras sur mon épaule et en me lançant un regard doux et compatissant. Parfois, les occasions se présentent à toi alors que tu ne les espérais même pas. Je suis certaine que si tu patientes, tu auras une chance de retrouver ce passé que tu aimais tant…
Je me tournai alors vers le nouveau vaisseau pirate. Des enfants jouaient gaiement à l’intérieur, comme nous le faisions auparavant, Aymeric, Maya, Ambre et moi et je revis nos fantômes, jouant dans ce vieux château de bois, riant, souriant, insouciants…
Satoshi avait raison, jamais je n’avancerais tant que je continuerais à me morfondre dans mes souvenirs perdus. Tout comme notre base secrète, mon ancien ami avait disparu mais il ne tenait qu’à moi de le faire revenir, comme il ne tenait qu’à moi de faire de ce vaisseau notre nouvelle base secrète.
Inconsciemment, et sous les regards effarés de toutes les personnes présentes, je me mis à courir vers le bateau en bois en rigolant seule. Les enfants qui jouaient là me dévisagèrent, intrigués et je montai debout sur la proue.
-Je te retrouverai Aymeric ! M’écriai-je en levant le poing au ciel. Ou que tu sois, je te ferai revenir parmi nous, notre nouvelle base secrète t’attend !
J’étais certainement ridicule à ce moment-là, et l’expression de June me le confirma, mais je n’avais que faire des apparences. Tout ce qui comptait pour moi à présent c’était d’effacer ces regrets qui m’avaient suivie trop longtemps. Ce jour-là, je prenais un nouveau départ !
-Je suis désolé d’interrompre ce spectacle mais je crois que pour l’entrainement, c’est fichu, fit remarquer Drago en regardant sa montre.
Cela me fit immédiatement redescendre sur terre. Effectivement, si nous étions venus dans ce parc, c’était pour nous entrainer et nous papoter…Je ne savais plus où me mettre. C’était quand même de ma faute si nous n’avions rien fait…
-Au contraire, nous avons fait un immense pas en avant ; rétorqua Hélios. Maintenant que notre très chère Angéla n’est plus tourmentée par ses souvenirs, elle va enfin pouvoir s’entrainer sérieusement, n’est-ce pas ?
-Euh…oui, j’essaierai…
Je descendis du vaisseau et tout le monde éclata de rire, moi y compris. Hélios avait raison, j’avais fait un grand pas en avant.
Etrangement, les jours qui suivirent, je fus bien plus concentrée sur nos duels, à tel point que cela étonna Maya et Ambre. Je réussis même à vaincre Drago une fois, sous les yeux ébahis de Maya qui le pensait invincible. Hélios assura sérieusement son rôle de superviseur, analysant nos duels, corrigeant nos erreurs et nous donnant des conseils utiles, ce qui était assez étonnant de sa part. Il était presque aussi bon que Lareine, peut-être même meilleur…
Finalement, après une longue semaine de dur labeur, le jour tant attendu arriva, le premier jour du tournoi inter-école…
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