La voix disparue dans les cris d’une foule surexcitée et pour cause, Hurricane venait de vaincre son adversaire pendant que j’étais distraite. Le serviteur de Typhos salua ses fans avec un sourire éclatant aux lèvres avant d’aller serrer la main à son adversaire et le féliciter pour ce duel. Puis il se retira dans les coulisses après avoir pris son trophée.
Lorsqu’il ouvrit la porte de sa loge, une jeune femme l’attendait juste devant, les bras croisés, visiblement impatiente. Elle était grande, au moins un mètre soixante-quinze, avait de longs cheveux noirs tirés en arrières, le front dégagé, les yeux bleu marine et une fine bouche entourée de rouge à lèvres. Elle devait certainement avoir la trentaine comme Hurricane et regardait ce dernier d’un œil mauvais. L’homme, au contraire, lui adressa une sourire radieux, comme à ses fans, mais elle ne semblait visiblement pas être une simple fan venue féliciter son héros. Devant son manque de réactivité, Hurricane prit un air embêté.
-Qu’y a-t-il Sophie, tu n’encourages plus le grand Peter Casanova, surnommé Hurricane le grand tourbillon de Gusto ?
-Peter, j’ai beaucoup réfléchi et…je pense que tu devrais arrêter ces tournois ; rétorqua la jeune femme en regardant l’homme dans les yeux.
-Arrêter les tournois ? Mais pourquoi donc ? Ce n’est pas comme si mes talents de duellistes te gênaient, au contraire, je croyais que tu aimais me voir gagner !
-Oui, au début c’était amusant, mais plus maintenant.
-Je ne comprends pas Sophie…
-Lorsque tu as commencé, tu étais encore ce duelliste que j’admirais tant, celui qui pouvait gagner n’importe quoi mais qui gagnait, non pas pour la gloire, mais parce qu’il voulait devenir meilleur. Maintenant que tu as atteint les sommets, je trouve que quelque chose a changé en toi.
-Vraiment ? J’ai l’impression d’être resté le même. Regarde, je t’ai même ramené ce trophée, on pourra le mettre chez nous une fois que nous serons mariés ! Dit-il en lui tendant la coupe.
La jeune femme ne prit pas la coupe mais l’arracha à Hurricane d’un revers de la main devant les yeux ébahis du futur serviteur de Typhos. La récompense du tournoi tomba par terre et se brisa en deux.
-P…Pourquoi as-tu fait ça ? Bégaya Hurricane, encore trop surpris par ce qu’il venait de voir.
-Regarde toi Peter ! Tu n’es plus que l’ombre de toi-même ! Où est passé ce duelliste que j’admirais et que j’aimais ? Où est l’homme qui, par ses rêves, m’a fait rêver moi aussi ? Où est le camarade de classe qui me disait qu’il vaincrait un jour les plus grands en claquant des doigts?
-Mais Sophie, n’est-ce pas ce que je fais en ce moment ? Répondit Hurricane d’une petite voix. Je viens encore de gagner…
-Oui, tu gagnes, encore et toujours, et pourtant, tu es loin d’être le meilleur, tu te contentes de petits tournois régionaux, mais jamais tu n’oseras monter plus haut ! Et tu veux que je te dise pourquoi ? Parce que ce système a fini par te corrompre toi aussi !
La jeune femme s’avançait au fur et à mesure qu’elle disait ses quatre vérités à Hurricane, ce qui obligeait ce dernier à reculer jusqu’à être acculé dans un coin.
-Tu ne désires pas aller plus haut, tu as simplement pris gout à la victoire, alors tu gagnes, encore et toujours le même tournoi, chaque année, parce que tu as peur de perdre, parce que tu aimes la popularité que tu as acquise en devenant champion, parce que la simple idée de ne pas être déjà le meilleur t’effraie, alors tu te convaincs que tu l’es, mais je vais te le dire moi, tu n’es rien de plus qu’un champion de seconde zone qui n’ira jamais plus haut tant qu’il se contentera de se donner en spectacle a des fans qui le laisseraient tomber s’il perdait !
La dénommée Sophie s’arrêta là dans ses reproches et tourna les talons, laissant Hurricane seul dans ce couloir. Il était livide, avait le regard vide et tremblait comme une feuille. Puis, après plusieurs secondes, il se releva lentement, prit les deux morceaux de son trophée et entra dans sa loge où il s’assit devant son miroir et se prit la tête dans les bras.
Sans prévenir personne, il jeta son trophée contre le mur et ce dernier se brisa en mille morceaux. Il était rouge de colère, mais je devinais facilement que la seule personne à qui il en voulait, c’était à lui-même. Il sortit ensuite une carte de sa poche que je reconnus immédiatement : Sophia, la regarda quelques instants, puis la remit dans sa poche et sortit de la pièce d’un pas déterminé.
La vision se brouilla et lorsqu’elle redevint nette, j’étais sur un toit, certainement celui du même bâtiment, et la jeune femme se trouvait là, assises au bord du vide, regardant tristement un pendentif qu’elle portait autour du cou.
Derrière moi, une porte s’ouvrit brutalement et je vis Hurricane arriver en trombe, essoufflé. Son amie se retourna également et écarquilla les yeux.
-C.…Comment…
-Je viens…de faire…le tour…du bâtiment…pour te trouver ; articula Hurricane en essayant de reprendre son souffle.
La jeune femme de répondit rien et un long silence s’installa entre les deux personnes avant que le serviteur des démons ne le rompe :
-Tu avais raison Sophie, je me suis égaré. Je me suis laissé aveugler par la gloire et le succès. Sans m’en rendre compte, j’avais peur de perdre, et par la même occasion de perdre tous mes fans, et de te perdre aussi…
-Me perdre…moi ? Répéta la jeune femme, étonnée.
-Oui, parce que je me suis souvenu qu’il y a longtemps, tu m’as dit que lorsque je serai devenu le meilleur, tu m’épouseras.
La jeune femme rougit, visiblement gênée d’avoir dit ceci, mais Hurricane n’en tint pas compte et ressortit la carte de Sophia de sa poche.
-Tu te souviens, tu m’as dit lorsque nous étions au lycée que cette carte revenait naturellement au meilleur duelliste qui croisait son chemin. Cette carte ne m’a jamais quitté, et elle ne me quittera jamais, car je serai le meilleur. Dès demain, j’irai m’inscrire au tournoi national, et lorsque je gagnerai, j’irai à la coupe du monde, et j’en sortirai victorieux puis nous pourrons tenir notre promesse, tu es d’accord avec ça, Sophie ?
L’amie d’Hurricane ferma les yeux et pendant un instant, je crus qu’elle allait refuser, mais elle se contenta de lui sourire légèrement à son tour.
-Hurricane, le grand tourbillon gusto hein ? J’attends avec impatience le jour où tu seras au sommet. Mais n’oublie pas, lorsque tu seras au sommet, tu devras faire ce que tu m’as dit : changer cette société corrompue de l’intérieure car seul le meilleur peut réaliser ce miracle.
-Oui, je tiens toujours mes promesses.
Hurricane tendit une main chaleureuse à son amie. Cette dernière se leva mais au même moment, un vent puissant souffla et déstabilisa la jeune femme qui, avant de comprendre ce qui se passait, basculait dans le vide. Sans réfléchir, Hurricane, terrorisé, se courut vers elle, mais fut repoussé par les hélices d’un hélicoptère de la télévision venant l’interviewer et il rata la main de la jeune femme de peu. Oubliant totalement où je me trouvais, je me précipitai également mais sa main passa à travers la sienne, comme si ce n’était qu’un fantôme, une illusion.
Alors qu’Hurricane hurlait le nom de son amie, je crus distinguer ses derniers mots dans le vacarme assourdissant qui nous entourait :
-Tu y arriveras Hurricane, tu es le seul à pouvoir le faire, je le sais, tu es le meilleur après tout…
La vision s’arrêta net et je me retrouvai à nouveau dans l’arène, Athéna fonçant sur moi. Cependant, après avoir vu cela, je sentais en moi une volonté nouvelle, celle de sauver Hurricane, car j’avais très bien saisi ses vraies motivations et je pouvais les comprendre. C’est pourquoi je devais lui montrer qu’il faisait fausse route, et pour cela, il n’y avait qu’une seule méthode : le vaincre !
-Athéna !
Mon monstre reprit ses esprits et s’arrêta à un cheveu de ma figure avant d’aller se replacer sur le terrain, sans aucune égratignure.
-Par l’effet du sanctuaire céleste, je ne reçois moi non plus aucun dommage de ce combat !
-Tu es peut-être protégée, mais ne crois pas que j’en ai fini avec toi. Je m’occuperai de June en premier si c’est ce que tu veux ; cracha notre ennemi. Ensuite, j’irai m’occuper de ce monde !
-Hurricane, ou plutôt devrais-je dire Peter Casanova, pensez-vous vraiment que ce que vous faites soit le dernier souhait de Sophie ?
Le serviteur de Typhos devint blême lorsque je prononçai ce nom et fit un pas en arrière.
-Co…Comment connais-tu ce nom ? Bégaya-t-il, tremblant.
-Je le connais, c’est tout, et je sais aussi que votre but en tant que duelliste était d’atteindre les sommets pour changer ce monde de l’intérieur.
-Tais-toi, je ne veux pas entendre ça…
-C’était la promesse que vous aviez faite à votre amie d’enfance, Sophie, n’est-ce pas ?
-Tais-toi…
-Cependant, après sa mort, vous vous êtes tourné vers quelque chose de plus…radical.
-S’il te plait, arrête, je ne peux pas…
-Regardez-vous Hurricane ! Où est passé le grand champion ne désirant qu’à s’élever plus haut ? Où est passé Hurricane, le tourbillon de Gusto !
-Cet Hurricane-là est mort en même temps que Sophie, il ne reste qu’une coquille vide ne vivant que pour venger celle qu’il aimait et vous êtes sur mon chemin, alors je vais vous faire disparaitre vous aussi ! Je pose deux cartes face cachée et je termine mon tour !
-Très bien, on dirait que je n’ai pas le choix alors ; rétorquai-je calmement. Il est temps d’en finir ! June ?
-Utilise mes monstres comme bon te semble Angéla !
-C’est parti, il est temps d’ouvrir les yeux d’Hurricane, j’invoque depuis ma main les Ailes de Socrate !
Au-dessus de nous, le tonnerre se mit à gronder et mon dragon apparut dans une lumière aveuglante. Il était si grand qu’il emplissait presque tout l’espace et notre adversaire continua à reculer en le voyant, de plus en plus terrifié.
-Je fusionne les ailes de Socrate avec le Dragon Fantomatique, familier de Harpie ; Père de l’Atlantide, Dragon des légendes, alliez vos forces pour ne faire plus qu’un seul être capable de renverser le cours du destin : Apparais, Dragon Familier de Socrate !
Je vis le monstre de June grossir, encore et encore, jusqu’à atteindre la taille de Socrate, la chaine autour de son cou se brisa et des flammes ardentes surgirent de sa gueule, maintenant aussi grande qu’un homme.
-Lorsque ce monstre est invoqué sur le terrain, toutes les cartes magies et pièges de notre adversaire sont réduites en fumée ! S’exclama June. Aller, plumeau du dragon familier de dame harpie !
Les deux seules défenses d’Hurricane, Force de Miroir et Prison Dimensionnelle, venaient d’être réduites à néant.
-C’est terminé Hurricane ! Nous nous exclamâmes d’une seule voix. Lorsque Dragon familier de Socrate combat, il annule les effets de sa cible !
-Co…Comment ?
-De plus, il me suffit de retirer le dragon fantomatique, familier de Harpie de mon cimetière pour que notre monstre gagne 2000 points d’attaque ; ajouta June.
-5000 Points d’attaque ? C’est…
-C’est la voie que vous n’avez pas décidé de suivre, la voie menant au sommet Hurricane !
-Le…sommet ?
-Dragon Familier de Socrate, Anéantis les points de vie d’Hurricane, Harpie’s Feather !
Notre dragon attaqua le monstre parfait d’Hurricane avec une rafale de flammes bleues. Ce dernier tenta de résister mais il ne pouvait rien faire contre l’alliance de nos forces et fut balayé en même temps que les points de vie du serviteur du démon.
Le duel était terminé, nous l’avions gagné, mais je ne me sentais pas totalement satisfaite de moi-même. En face, Hurricane était debout, comme figé, regardant dans le vide devant lui, les yeux dénués de vie. Je m’approchai prudemment de notre ennemi malgré les avertissements de June et ce dernier tourna la tête vers moi.
-J’ai…j’ai perdu…Sophie avait donc raison ? Suis-je incapable de changer ce monde ? Sophie doit bien se moquer de moi de là où elle est, moi, Hurricane, le tourbillon gusto, le seul champion n’ayant jamais osé sortir de sa ville…
-Hurricane, ce n’est pas parce que vous avez perdu un duel que tout est fini. Une défaite doit vous rendre plus fort au contraire.
Je fouillai dans ma poche et j’en sortis une carte que je tendis à notre ennemi. Lorsqu’il la vit, son regard s’illumina soudainement.
-Sophi…a ?
-Je crois que cette carte vous revient, je n’en ai plus l’utilité, et j’ai cru comprendre qu’elle était importante pour vous.
Tremblant, Hurricane attrapa la carte et je vis une larme couler sur sa joie, larme qu’il tenta d’essuyer aussitôt mais qui fut immédiatement remplacée par une autre.
-Je…Je suis désolé…Finit-il par dire après un moment de silence. Je pensais qu’avec l’aide de Typhos, je pourrais enfin réaliser le souhait de Sophie, mais je me suis égaré et j’ai laissé mon désir de vengeance prendre le dessus…
Une secousse ébranla la citadelle et je me tournai vers June qui me lança un dernier regard pour me dire de me dépêcher.
-Allez-y, derrière cette porte, vous trouverez les démons. Je ne peux plus rien faire pour vous empêcher de passer, mais promettez moi une chose : que vos actions d’aujourd’hui changeront le monde. Je n’ai pas le pouvoir de réaliser la dernière volonté de Sophie, mais vous pouvez le faire, je crois en vous, seuls les plus forts ont le pouvoir de modeler un monde nouveau.
-Je peux vous le promettre Hurricane, nous réaliserons ce rêve pour vous et pour Sophie.
Le serviteur de Typhos nous lança un dernier sourire tandis que nous franchissions la grande porte menant à notre destin. Nous allions enfin faire tomber cette épée de Damoclès planant sur nos têtes depuis bientôt six mois. Il était temps de mettre un terme à cette guerre insensée avant même qu’elle n’ait commencé.
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