Je retournai dans ma chambre presque en courant et je sortis un vieux sac poussiéreux afin de réunir le peu d’effets personnels que j’avais. La photo de mes parents fut bien entendu du voyage, après tout, c’était en partie grâce à eux que j’avais décidé de partir ce jour-là. Je pris également quelques vieilleries comme un pull troué en cas de froid, un vieux chapeau mangé par les mites pour le soleil et un bracelet très cher à mes yeux. Je n’avais pas besoin du reste, j’avais déjà lu tous les livres qui se trouvaient là, les draps et couvertures auraient été trop encombrants, et puis, je n’avais pas grand chose d’autre qui fût vraiment à moi.
Je veillai jusqu’au lever de jour pour être sûre de ne pas manquer Hélios. J’étais également allée réveiller Satoshi aux aurores mais il semblait que lui non plus n’ait pas dormi de la nuit, puis nous attendîmes l’heure de vérité.
Hélios sortit de sa chambre vers huit heures du matin et nous nous précipitâmes sur lui. Encore à moitié endormi, il mit quelques secondes à comprendre notre demande puis ouvrit alors soudainement les yeux, effaré.
-Vous…vous voulez venir avec moi ? S’exclama-t-il.
-Moins fort, inutile d’alerter tout le monde ; répondis-je à voix basse. Mais oui, nous voulons vous suivre.
-Mais vous ne me connaissez à peine que depuis deux jours, c’est un peu tôt pour faire confiance à quelqu’un vous ne trouvez pas ? Et puis, je n’ai pas une vie facile, je voyage beaucoup et…
-Nous nous fichons de qui vous êtes et de où vous allez, ce qui importe, c’est que vous nous avez sauvé la vie deux fois hier et que nous n’avons rien pu faire pour vous rendre cela.
-Je ne suis pas d’accord avec tout ce que ma sœur dit, mais où qu’elle aille, j’irai, donc je la suis, même si je ne vous fais pas plus confiance qu’au boss ; dit mon frère en toute honnêteté.
-Et bien, je suis un peu à court d’arguments si vous vous fichez du danger ou de qui je suis réellement. Rien ne vous fera changer d’avis ?
Non répondîmes par un simple non de la tête et Hélios soupira.
-Dans quoi je m’embarque moi ; se lamenta-t-il. Vous savez, j’ai déjà du mal à me nourrir, donc…
-Nous avons l’habitude de sauter des repas ; dit Satoshi.
-Je loge souvent à la belle étoile également.
-Ca ne peut pas être pire qu’ici ; rétorquai-je.
-Un voyage n’est pas une partie de plaisir, il faut prévoir plein de choses comme…
-Dites-nous ce que vous voulez, nous ne changerons pas d’avis ! Répliquai-je. Tout ce que nous voulons, c’est partir avec vous.
-Tu es aussi têtue que Celestia toi ; ronchonna-t-il. Mais c’est d’accord, venez avec moi. De toute façon, je parie que vous me suivriez même si je vous disais non.
Nous acquiesçâmes et Hélios éclata de rire. Contrairement aux autres personnes que je connaissais jusque-là, le rire d’Hélios était sincère, pur, cristallin. Il ne se moquait pas du malheur des autres, ce n’était pas non plus un rire tyrannique montrant sa supériorité, non, ce n’était que de l’amusement devant notre réaction.
Il se mit alors à genoux et nous mit à chacun une main sur l’épaule, comme s’il parlait à de jeunes enfants.
-Bien, j’imagine que vous n’êtes jamais sortis d’ici, je me trompe ?
Non fîmes non de la tête et il sourit de plus belle.
-Et bien, dîtes-vous que je ne connais pas plus le monde que vous, et c’est pourquoi j’ai entamé ce voyage, donc il faudra nous entraider, compris ?
-L’entraide n’est pas vraiment un concept familier par ici ; dit mon frère. Mais nous ferons de notre mieux si cela nous permet de nous suivre.
-Ah et j’oubliais, il y a une chose que je ne supporte pas.
-Quoi donc ? Demandai-je angoissée.
-Les ronchons !
J’éclatai de rire à mon tour tandis que Satoshi grogna dans son coin. Je ne savais pas pourquoi, mais Hélios me faisait sincèrement rire, il était drôle et était certainement la seule personne que je connaissais qui avait un peu d’humour parmi cette bande de brutes sans cervelle composant le gang.
Au loin, j’entendis une porte s’ouvrir. Nos anciens camarades devaient certainement commencer à se réveiller.
Hélios se releva et nous fit signe de partir devant, quant à lui, il alla remercier le boss de son hospitalité. Nous l’attendîmes quelques instants. Il eut eu quelques rugissements, après tout, il laissait partir une mine d’or comme Hélios, mais il ne pouvait rien faire pour le retenir et il le savait.
Hélios nous rejoignit ensuite, toujours l’air amusé en regardant derrière lui.
-Bien, l’aventure commence maintenant, j’espère que vous êtes prêts ! Nous allons voir les merveilles que la nature a à nous offrir, des chefs d’œuvre de l’architecture humaine, des…
-Nous savons ce que nous allons faire ! Protesta Satoshi. On peut y aller maintenant ?
Devant l’expression consternée d’Hélios, je ne pus m’empêcher de rire à nouveau. Ce voyage s’annonçait décidemment très divertissant et certainement bien plus plaisant que cette vie misérable dans ce bidonville.
Nous marchâmes dans les rues du quartier oublié pendant une bonne demi-heure, il faut dire que notre repaire se trouvait en plein cœur, avant d’arriver enfin à la frontière du nouveau satellite. Lorsque je vis les magnifiques immeubles de verre et les rues entretenues remplies de passants, mon cœur s’accéléra soudain. Je me tournai vers mon frère, il ne semblait pas aller mieux que moi. C’était la première fois que nous mettions un pied en dehors du quartier oublié, nous n’avions qu’une vague idée de ce à quoi pouvait ressembler satellite, mais jamais nous n’aurions imaginé une telle chose.
Le futur côtoyait le passé ici, le neuf s’élevait au-dessus des ruines du Zero Reverse. Tout était si rutilant et si brillant, j’avais vraiment du mal à croire que Satellite ait un jour ressemblé au quartier oublié. Même le soleil brillait plus fort ici que dans nos ruines.
Mais voir cela ne fit qu’augmenter ma haine contre les gangs. C’était de leur faute si je n’avais pas pu voir cela plus tôt, si j’avais du vivre cette vie pendant sept longues années alors que la porte de sortie était si proche de nous…
Hélios nous poussa dans le dos, nous encourageant à sortir de la ruelle sale et délabrée dans laquelle nous nous trouvions. Mon premier pas sur le sol de satellite, le premier pas vers notre nouvelle vie…
Le sol était si lisse, pas une bosse, pas une fissure, le béton était juste parfaitement lisse, rien à voir avec les rues dévastées du quartier oublié.
Hélios inspira une bonne bouffée d’air. Sans savoir pourquoi, je fis comme lui et je fus stupéfaite. Nous avions beau être dans une grande ville, les senteurs de l’océan arrivaient jusqu’à nous. Je ne savais même pas comment j’arrivais à reconnaître ces odeurs inconnues jusqu’ici, mais c’était comme si je les avais toujours connues. Un mélange de sel, d’algues et de poissons parvenait jusqu’à mes narines. Ce n’était vraiment pas désagréable.
Je me tournais vers mon frère qui était visiblement bien plus attiré par les bâtiments, mais il n’avait jamais été très sensible aux odeurs de toute façon, et heureusement pour lui, cela lui avait évité de nombreux malaises…
-Voici Satellite, impressionnant n’est-ce pas ? Voyez l’architecture moderne qui s’élève jusqu’au ciel comme si elle voulait le toucher, admirez ces boutiques et ces cafés qui furent autrefois des repaires pour les malfrats ; dit alors Hélios comme un guide touristique. Tout cela est le fruit de la coopération des habitants et est né de l’espoir des hommes, d’ailleurs, j’ai quelque chose à vous montrer, suivez-moi.
Hélios nous emmena plus près de l’océan. Nous continuâmes à traverser de grandes avenues remplies de passants pressés mais surtout bien habillés. Je me sentis soudain vraiment comme une clocharde avec mes loques, et c’était certainement ce que pensaient toutes ces personnes en me voyant.
Bon, la vérité, c’était qu’Hélios attirait bien plus l’attention que nous avec son drôle de costume, si bien que personne ne prêtait attention à deux pauvres enfants ayant l’air de sortir de nulle part…Mais Hélios ne prêtait guère attention à tous ces regards, comme s’il était habitué et continuait sa route, imperturbablement, continuant à commenter tout ce qu’il voyait.
Enfin, nous fîmes face à une grande étendue d’eau semblant infinie. La terre s’arrêtait là pour faire place à la mer, bleue comme l’azur, brillante sous le soleil matinal. Je ne pouvais détacher mon regard de cette merveille. Je n’avais vu l’océan que dans des livres, sur de vieilles photos en noir et blanc, mais jamais je n’aurais imaginé un tel mélange de couleurs et de lumières.
Un grand pont reliait satellite à ce qui devait être Néo Domino City mais Hélios ne voulait pas nous montrer cela et désigna quelque chose à droite du pont.
Nous nous approchâmes et nous vîmes quelque chose d’étrange : une moitié de pont en bois. Il était très petit comparé à son voisin mais il semblait également bien plus vieux.
-En quoi ce truc est intéressant ? Demanda Satoshi à Hélios.
-Ce truc ? Un peu de respect je te prie. Il s’agit là du pont dédale. Il a été construit peu de temps après la séparation de Satellite et Domino city par un homme dont le nom est resté dans la légende, autant en bien qu’en mal.
-Rex Goodwin ? Proposai-je en me souvenant d’avoir lu quelque chose sur lui.
-Exact Serena. Goodwin fut le premier à avoir redonné de l’espoir aux habitants de Satellite en construisant ce pont, seul. Par la suite, c’est également lui qui a ordonné la construction de l’autre pont, achevant ainsi son travail et réparant les erreurs de son frère. Il est un modèle pour de nombreuses personnes encore aujourd’hui.
-Un peu comme vous ; dis-je alors.
-M…Moi ? Répéta-t-il surpris.
-Oui, vous nous avez donné un espoir en nous faisant sortir d’ici.
-Mais…mais non, vous vous méprenez, je n’ai rien d’un héros…je n’en ai plus la carrure depuis longtemps…
Son regard se posa tristement sur le sol lorsqu’il dit cela. Que lui arrivait-il ? Il était vrai que je ne connaissais presque rien de lui, mais ces deux jours passés en sa compagnie m’avaient appris de nombreuses choses, alors il pouvait dire ce qu’il voulait, avoir fait n’importe quoi, il restait un modèle pour moi, et certainement pour Satoshi également, même s’il ne l’aurait jamais avoué.
-Enfin, je ne sais pas pour vous, mais je n’ai pas pris de petit déjeuner et je commence à avoir un peu faim, pas vous ? Dit-il soudainement.
-Non merci, nous ne prenons qu’un seul repas par jour en général ; répondit mon frère.
-Allons, allons, des jeunes en pleine croissance doivent manger pour garder la forme !
Sans nous laisser le temps de répondre, il nous emmena dans un restaurant de luxe avec vue sur la mer. Le serveur eut l’air surpris en voyant deux gueux et un excentrique arriver dans son restaurant mais ne fit pas d’histoire et nous installa à une table à côté de la fenêtre. Nous avions une belle vue dégagée sur l’océan et sur la plage d’ici.
-Prenez ce que vous voulez, je vous l’offre ! Déclara Hélios en s’emparant du menu.
-Comme si nous avions les moyens de payer ; marmonna Satoshi.
Je pris le menu à mon tour et je fus effarée de voir tous les choix possibles. Il y avait vraiment de tout, même les exécuteurs n’avaient pas autant de choix dans leur garde-manger.
Le serveur revint, Hélios commanda quelques tranches de Bacon, des saucisses avec des œufs frais ainsi qu’une grande tasse de café. Satoshi se contenta d’une tartine de pain puisqu’il ne connaissait que ça. Quant à moi, je tentai les croissants qui avaient l’air bien appétissants sur la carte.
L’homme revint à peine cinq minutes plus tard avec notre commande qui me mit sérieusement l’eau à la bouche. Cependant…je ne savais vraiment pas comment manger ces croissants sans avoir l’air d’une sauvage et, imitant Hélios et ses saucisses, je me mis à les couper avec un couteau et une fourchette, mais son étrange expression lorsqu’il me vit faire cela me fit comprendre que ce n’était pas la bonne méthode.
-Euh…Serena, je peux savoir ce que tu fais ? Demanda-t-il amicalement.
-Ca ne se voit pas ? Je mange proprement…ou du moins, j’essaie ; me défendis-je tout en faisant tomber des miettes un peu partout.
-Tu sais que ça se mange avec les mains ? A moins que tu ne réussisses à planter ton couteau dedans et avoir quelque chose à la fin…
Je m’empourprai.
-Je…je le savais ! Protestai-je tout en empoignant le croissant à deux mains.
-C’est ce qu’on dit oui ; répondit Hélios, l’œil brillant.
J’engloutis mon croissant en deux ou trois bouchées puis je regrettai de ne pas en avoir profité comme le faisait Hélios et Satoshi, qui lui, semblait savourer toutes les miettes de sa tartine…
Le serveur amena l’addition, et je fus consternée de voir le prix, mais Hélios ne semblait même pas étonné. Il sortit simplement un énorme billet puis nous partîmes, le ventre plein pour la première fois depuis des lustres.
Notre prochaine destination était la ville de Néo Domino City. Nous traversâmes le grand pont reliant les deux parties de la ville. Je n’étais pas très à l’aise, perchée vingt mètres au-dessus du vide mais je pris mon courage à deux mains, après tout, traverser ce pont signifiait laisser définitivement derrière moi ma vie dans le quartier oublié.
-Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, j’ai quelques affaires à régler à Néo Domino City, donc nous allons certainement passer la nuit ici.
-Pourquoi cela nous dérangerait-il ? Demandai-je.
-Je ne pas, on ne sait jamais, nous sommes encore très proches de satellite après tout ; répondit-il en haussant les épaules.
Cela me fit chaud au cœur de voir qu’Hélios se préoccupait de cela aussi. Je ne m’étais pas trompée sur son compte, il s’occupait vraiment du bien-être de tout le monde autour de lui, un peu comme un père l’aurait fait avec ses enfants…
La ville de Néo Domino City était assez peu différente du nouveau satellite. Il y avait ces mêmes gratte-ciels, les mêmes rues parfaitement lisses, les mêmes sortes de gens. Les deux parties de la ville étaient vraiment reliées à présent et le fossé qui les séparait semblait avoir disparu quand je regardais le nombre d’automobiles passant de l’une à l’autre sans arrêt.
Mais cette fois-ci, Hélios ne s’arrêta pas pour admirer la vue et se dirigea directement vers le centre-ville, plus précisément, en direction d’une immense tour surplombant la ville comme si elle la gardait.
Lorsque nous fûmes à son pied, elle me parut encore plus impressionnante, elle était si haute que j’en avais presque le vertige.
Hélios se dirigea directement vers les grandes portes qui étaient gardées par de nombreux policiers. Les forces de sécurité, me disais-je. Pourquoi Hélios venait-il dans un endroit pareil ?
Il put entrer sans difficulté mais il n’en fut pas de même pour nous. Deux gardes nous empoignèrent lorsque nous essayâmes de rentrer à sa suite.
-Où pensez-vous aller comme ça misérables ? Nous dit l’un des policiers sans une once de tact.
-Misérables ? Faites attentions à vos paroles ! Ripostai-je tout en sachant que c’était la vérité.
-Encore des voleurs de petite envergure ; soupira le policier. Des comme vous, on en a tous les jours, n’essayez pas de jouer au plus malins, vous le regretterez.
Je vis le regard de Satoshi s’illuminer de colère, cependant, Hélios revint sur ses pas en voyant que nous ne le suivions pas et fut interloqué de nous voir comme ça.
-Satoshi, Serena, qu’avez-vous fait ?
-Mais rien, on essayait juste de rentrer quand ces bull-dogs nous ont sauté dessus !
-Oh, je vois…Et bien, vous pouvez les lâchez messieurs, ils sont avec moi.
A contre-coeur, les policiers nous laissèrent partir mais je voyais dans leur regard qu’ils gardaient un œil sur nous.
-Au lieu de sauter sur tout ce qui bouge, vous auriez mieux fait de sauver nos parents ! Criai-je avant de rentrer à l’intérieur.
Hélios s’excusa longuement de ce malentendu et promis de faire quelque chose pour nous une fois cette affaire réglée, ce à quoi Satoshi répondit que nous étions habitués à être maltraités, ce qui sembla l’outrager encore plus.
Une escorte nous fut donnée et nous emmena au dernier étage du bâtiment, dans le bureau du directeur des forces de sécurité où elle se retira.
Il ne restait que nous, ainsi qu’un étrange homme avec une tête de clown au milieu, un autre avec une énorme balafre sous l’œil et une femme aux cheveux bleus.
-C’est lui ; dit l’homme à la balafre en désignant Hélios.
-Agent Trudge, Mina, directeur Lazard, bien le bonjour.
-Vous donc celui qu’on appelle Hélios ? Vous savez, j’ai eu tout un tas de problèmes à cause de vous l’année dernière ; dit le dénommé Lazard avec une voix assez aigue.
-Oui, oui, désolé ; s’excusa Hélios visiblement confus. Mais je suis là aujourd’hui pour me racheter.
-Oh, vous êtes donc allé dans le quartier oublié comme convenu ?
-C’est exact. Il n’y a pas de grande surprise, le territoire est contrôlé par un certain Ramon. La famine et la terreur y règnent, bref, comme avant somme toute.
-Je vois, merci pour ces informations, nos équipes pourront intervenir bien plus facilement à présent.
-Intervenir ? Demandai-je soudain en prenant part à la conversation.
Le directeur sembla enfin remarquer notre présence et fronça ses sourcils violets.
-A qui ai-je l’honneur ?
-Elle s’appelle Serena, et voici son frère Satoshi. Je les ai rencontrés tous les deux dans le quartier oublié.
L’œil de l’agent balafré nommé Trudge s’illumina et il chuchota quelque chose à l’oreille de la femme à côté de lui qui sourit.
-Serena, Satoshi, vous connaissez le quartier oublié comme votre poche n’est-ce pas ? Nous demanda la jeune femme.
-Euh…En effet, pourquoi ? Demanda mon frère méfiant.
-Est-ce que vous accepteriez dans ce cas de nous guider afin d’arrêter les criminels qui y sévissent ?
-Vous…guidez ? Vous voulez dire, retourner là-bas ?
Nous nous regardâmes avec Satoshi et voyant notre mal aise, Mina reprit gentiment :
-Vous n’êtes pas obligés, mais cela nous aiderait énormément, alors s’il vous plait, réfléchissez.
L’entretien se termina sur l’attaque future du quartier par les forces de sécurité. Apparemment, les exécuteurs commençaient à étendre leur influence sur Satellite, ce qui ne plaisait pas du tout aux forces de police en place. Hélios s’était proposé pour aller jeter un œil, c’est pourquoi nous l’avions rencontré cette nuit-là.
Cependant, je me fichai bien de savoir que tous ces idiots allaient être délogés. Ce qui me préoccupait l’esprit, c’était la demande de Mina. A peine sortie de la misère qu’on me demandait déjà d’y retourner. D’un côté, je mourrai d’envie d’accomplir enfin ma vengeance, mais d’un autre, retourner là-bas était chose impossible à présent, j’avais une nouvelle vie avec Hélios et Satoshi, ou du moins l’espoir d’une nouvelle vie. Retourner là-bas aurait signifié mettre fin à ces rêves…
-Ne t’en fais pas ; me dit alors Hélios une fois sortis du bâtiment. Vous n’êtes pas obligés d’y retourner, les services de police se débrouilleront très bien, j’en suis persuadé.
Il disait cela avec une telle conviction que j’avais peine à ne pas le croire, mais la possibilité de retourner dans le quartier oublié continuait à hanter mon esprit.
Voyant mon mal aise, Hélios proposa quelque chose d’étrange.
-Et si nous allions faire les boutiques ?
-Pardon ?
Nous avions dit cette phrase en même temps et cela fit encore rire Hélios de nous voir synchros à ce point.
-Juste histoire de nous changer les idées, je suis sûr que ça nous fera du bien à tous !
Sans nous laisser le temps de discuter ou de protester, il entra dans le grand magasin qui se tenait en face du quartier général des forces de l’ordre et nous n’eûmes d’autres choix que de le suivre à l’intérieur.
En entrant, je crus passer dans un autre monde. Un vaste espace s’étendait devant moi, lumineux, brillant, rempli de monde. Il y avait tout autour de nous diverses boutiques allant de l’alimentaire jusqu’aux jeux vidéos, tout en passant par des vêtements, de l’électronique et d’autres choses que je ne connaissais pas. Des escaliers roulants permettaient de passer au deuxième étage, lui aussi rempli de boutiques en tout genre.
Je me mis à courir partout comme une petite fille. Je n’avais jamais connu d’endroit comme celui-ci, il n’y avait pas de magasins dans le quartier oublié, excepté la décharge publique.
Nous avions certainement l’air étranges tous les trois dans ce grand magasin, mais peut m’importait désormais puisque tout cela était sur le point de changer.
Nous entrâmes en premier lieu dans une boutique de vêtements car il était urgent que je me débarrasse de ces vieilles affaires qui faisaient vraiment malpropre à Néo Domino City. Mais il y avait tellement de choix, des robes à paillettes comme les princesses de contes de fée, des tenues de punk, de rocker et d’hippies, des maillots de bain en tout genre, je ne savais plus où donner de la tête.
Après avoir essayé la moitié du magasin et essuyé les critiques de mon frère, mon choix se porta finalement sur quelque chose d’assez simple et similaire à ce que j’avais déjà sur moi : un simple tee-shirt bleu et blanc, un pull rouge et un jean noir. J’en profitai cependant pour prendre également quelques bracelets, de nouvelles chaussures et d’autres vêtements de rechange, notamment des chemises, des jupes et une robe. On ne savait jamais…
Malgré le prix astronomique, Hélios ne dit rien et sortit simplement un autre énorme billet de son portefeuille. Il était milliardaire ou quoi ?
Lorsque ce fut au tour de mon frère, ce dernier rechigna un peu à acheter de nouveaux vêtements, disant que les siens lui allaient très bien. Finalement, il fit comme moi et acheta la même chose en neuf.
En sortant de la boutique, personne n’aurait pu dire que nous venions du quartier oublié. Nous ressemblions à tout le monde à présent…Enfin, à un détail près.
Ce fut au tour d’Hélios de changer sa garde-robe. Il fut certainement le plus obstiné, on aurait vraiment dit un enfant de six ans refusant d’aller à l’école.
-Vous n’allez pas vous balader en armure toute votre vie quand même ?
-Et pourquoi pas ? Je l’aime cette armure moi !
-Oui, mais avec vous, on ne peut pas passer inaperçu dans une foule, ce qui est quand même assez gênant ! Répliqua Satoshi.
Il continua à grogner une bonne dizaine de minutes avant de céder.
-Vous êtes bien trop têtus pour moi tous les deux ; soupira-t-il.
Nous entrâmes dans un nouveau magasin vendant d’élégants costumes pour homme. Nous prîmes celui qui semblait le plus normal : une chemise blanche, une veste noire et un pantalon noir, l’habit de monsieur tout le monde.
Lorsqu’Hélios sortit de la boutique, il était un autre homme. Fini l’excentrique en armure, il était à présent un honorable employé avec une coiffure étrange…
-Si je me fais tuer, ça sera de votre faute ; ronchonna-t-il tout en nous suivant.
Nous passâmes le reste de la matinée à faire les boutiques, rassemblant tout ce dont nous pourrions avoir besoin, et tout ce dont nous n’avions pas besoin également. Je ne pensais plus à rien, excepté au prochain magasin que nous allions visiter. Même le quartier oublié semblait un lointain souvenir se perdant dans la brume. J’avais certes le comportement d’une gamine à ce moment-là, mais je rattrapais tout le temps volé par le boss et son gang.
Les courses nous occupèrent jusqu’à trois heures de l’après-midi puis nous déjeunâmes dans un restaurant, de luxe encore une fois, où les serveurs nous traitaient comme n’importe qui. Ils ne nous regardaient plus avec cet œil méfiant avec lequel les gens nous observaient comme si nous étions des bêtes étranges sorties d’un autre monde. Nous avions simplement l’air de deux jeunes adolescents passant du temps avec quelqu’un qui aurait pu être leur père ou leur oncle, mais certainement pas de deux gueux accompagné d’un type tout droit venu du moyen âge.
Encore une fois, je fus surprise par la qualité de la nourriture et par son abondance. Rien que le fait de pouvoir choisir ce que l’on voulait m’étonnait. Dans le quartier oublié, nous nous contentions de ce que nous trouvions, que nous aimions ou non. Une fois de plus, je vis le fossé séparant les deux mondes pourtant si proches l’un de l’autre…
Nous passâmes ensuite le reste de l’après-midi à déambuler dans la ville comme de simples touristes, visitant les mêmes lieux qu’eux, achetant les mêmes souvenirs qu’eux, étant aussi insouciants qu’eux.
Le soir venu, Hélios nous proposa de rester dormir à l’hôtel et même de choisir celui que nous voulions. Lorsque je lui montrai celui du nom de « L’impérial », un cinq étoiles, il tiqua tout de même mais accéda à notre requête. Mon frère ne dit rien et se contenta de nous suivre.
C’était un grand bâtiment ayant l’air assez ancien, avec des colonnes de marbre blanc, une façade comme sur les temples grecs, sculptée et embellie par des plantes grimpantes en fleurs, même si l’on voyait clairement qu’il s’agissait d’une réplique moderne.
Pour y accéder, nous devions traverser un vaste parc à la française où de nombreuses personnes flânaient encore avant le diner. L’entrée était gardée par deux hommes en costume blanc qui nous ouvrirent la porte lorsque nous nous approchâmes. Tout cela m’intimidait un peu à vrai dire, je n’avais pas l’habitude d’autant de luxe et de décorations, mais l’extérieur n’était rien comparé à l’intérieur du palace.
Le hall était une immense salle circulaire avec un parquet verni reflétant le plafond, peint et représentant des scènes de banquet avec des anges, des dieux et des hommes. Je n’étais vraiment pas à l’aise, tout avait l’air si fragile tout en étant si beau, j’avais vraiment peur que le moindre de mes pas n’abime le magnifique sol. Satoshi ne semblait pas très sensible à tout ce luxe, il regardait simplement les gens qui se trouvaient là avec un peu de mépris. Il devait certainement penser qu’ils étaient privilégiés, qu’ils avaient toujours tout eu dans leur vie, contrairement à nous et cela devait le dégouter. Je comprenais très bien ce sentiment, j’aurais certainement ressenti la même chose si je n’avais pas essayé de me détacher de mon ancienne vie, ce que lui, semblait avoir du mal à faire…
Hélios prit deux chambres auprès de la réceptionniste pour une durée indéterminée. Après tout, il avait encore beaucoup de travail à faire pour les forces de sécurité.
Cependant, la dame de l’accueil posa une question étrange.
-Hélios…j’ai déjà entendu ce nom l’année dernière ; dit-elle comme perdue dans ses pensées.
-Oh, certainement madame, je suis quelqu’un d’assez connu ; répondit-il avec un grand sourire. Mais si je suis ici aujourd’hui, c’est pour un travail spécial avec les forces de l’ordre.
Il avait murmuré cette dernière phrase comme si le dire à voix haute pouvait compromettre sa couverture, s’il en avait eu une…
Pendant que la réceptionniste était perdue dans ses pensées, Hélios en profita pour s’éclipser discrètement vers les chambres et nous le suivîmes. Cependant, les paroles de cette femme avaient piqué ma curiosité. Qui était-il vraiment ?
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